Serge Coosemans

Bertrand Cantat, un produit Universal

Serge Coosemans Chroniqueur

Bertrand Cantat est un produit Universal et quand un produit Universal se retrouve en couverture d’un magazine français, c’est que ça a été négocié, pas forcément payé, mais négocié: on parle bien de business, pas d’arrangement entre potes au bistrot. Tout le monde sait ça et personne ne dit rien. Crash Test S03E07: cette fois, on n’est pas là pour rigoler.

Incorruptibles, cela ferait déjà bien longtemps que les Inrocks ne le seraient plus vraiment. Il y a seulement quelques jours, Acrimed pointait ainsi une étrange corrélation de plus entre quelques publicités pleines pages et le sommaire de la partie rédactionnelle du magazine. Il y a deux ans, dans le Gonzaï numéro 12 d’octobre 2015, Bester Langs balançait quant à lui un vieux secret commercial pas si bien gardé que ça: pour qu’une chanson figure sur le Sampler, autrement dit sur le CD que les Inrocks « offrent » régulièrement avec le magazine, il en coûte 2000 euros au label. Au sujet des tarifs et des pratiques en vigueur, il se raconte encore quelques légendes tenaces bien qu’invérifiables pour qui ne s’appelle pas Pascal Nègre ou Emmanuel de Buretel. Certains disent que ce n’est que normal. Après tout, Les Inrocks ne sont plus un fanzine de jeunes gens purs et durs depuis la fin des années 80. C’est aujourd’hui davantage un business, dont les pratiques ne sont pas foncièrement différentes, ni illégales, de celles des autres magazines français. On y achète de l’espace, on se renvoie des ascenseurs, on opère des stratégies. En France, qui plus est, un marché culturel de première catégorie, où supporter telle communication d’artiste plutôt qu’une autre peut faire la différence. « Une couverture sur un groupe dans Les Inrockuptibles peut générer jusqu’à 10.000 ventes d’albums supplémentaires », disait-t-on dans Stratégies, certes il y a 20 ans. Un jour, sur mon ancien blog, j’ai publiquement fait savoir que je trouvais particulièrement dégobilatoires tout ce pognon et tous ces compromis. Le reste de la profession n’a pas vraiment été d’accord. On m’a traité de scrogneugneu, de chevalier blanc, de grand naïf, de dernier des punks, de loser, de traître à la cause. C’était même carrément dégueulasse que je rende ça public. Balancer les confrères, parmi les plus prestigieux en plus… Allons donc.

Ce n’est dès lors pas qu’un plaisir sadique de rappeler aujourd’hui que les Inrocks et Cantat sur sa couverture, c’est comme le glyphosate toujours en rayons dans les magasins de jardinage. Un scandale, certes. Mais pas un scandale né de la maladresse, du manque de tact ou de la naïveté, comme on a pourtant pu le voir imprimé ailleurs. Ce scandale-là découle strictement du business, pas de gamineries. Tout le monde a gueulé, c’est très bien, mais alors que refroidit tout doucement la polémique, un storytelling s’impose. Les Inrocks se sont ainsi excusés en publiant une lettre ouverte vraiment pathétique titrée « À nos lecteurs » (alors que c’était peut-être la seule fois de l’histoire de l’univers où s’imposait l’écriture inclusive). Bertrand Cantat, lui, a probablement raté sa campagne promo de l’année, vu qu’il serait étonnant, dans le contexte actuel, que d’autres journaux lui accordent encore des interviews. Est-ce pour eux vraiment dramatique? Je ne le pense pas. J’ai même plutôt l’impression de voir gagner le management de crise. Les choses se tassent. Les dégâts sont limités. Les Inrocks passent une énième fois pour un ramassis de vieux gamins gentiment à côté de la plaque et Cantat fait le dos rond en attendant la prochaine tentative de comeback, dans quelques mois ou années. Alors, quoi? Tout ça pour ça? Gueuler pour finalement leur concéder ce qui n’est certes pas une victoire glorieuse mais laisse en fait les choses en suspens?

Accepter son destin? Vraiment?

Bertrand Cantat, que je sache, n’enregistre pas au fin fond de la brousse des démos qui dès que finies sont portées par des pigeons voyageurs à une rédaction qui est tellement charmée du résultat qu’elle décide de mettre l’artiste sur sa couverture, parce que « c’est vraiment un bon disque ». Bertrand Cantat et Les Inrocks, c’est peut-être toujours un peu du journalisme musical mais c’est surtout beaucoup de business, de stratégies commerciales, de com’ et de buzz. Bertrand Cantat est un produit Universal. Un produit difficile dans le contexte actuel. On peut dès lors très bien imaginer que dans les bureaux d’Universal se soient réunis des spécialistes de la réparation de réputations, des nazes communicants dont le boulot est de normaliser Cantat, de trouver un bon argument de vente pour son album, un storytelling qui fasse vibrer le coeur de cible; forcément des couillons et des couillonnes attirés par les artistes torturés aux destins chahutés.

Or, justement, que vend-t-on pour le coup? Un album solo, prévu pour décembre et titré Amor Fati. Amor? Vraiment? Il va parler d’amour, lui? Non, pire: Amor fati, c’est une expression latine qui signifie différentes choses mais principalement « accepter son destin ». Accepter son destin? Vraiment? Le symbole ultime des violences faites aux femmes commence à assumer son karma de bouse et va de ce pas nous chanter une petite chanson sur le Brexit pour montrer que ça va d’ailleurs de mieux en mieux sous sa bouilloire, coin coin, il en redeviendrait même « intense »… Si ça vient seulement de Cantat, c’est déplacé, nombriliste, indécent. Et tout le monde doit le savoir mais personne ne lui a rien dit. Mais si ça vient des pubards d’Universal, c’est encore pire. Tenter de revendre du Cantat via le bon vieux coup de la rédemption. Travailler un angle, une histoire, afin de normaliser le personnage, tenter que dans les consciences, s’estompe son image de monstre criminel et y revienne celle de l’artiste complet, ardent, engagé et politique. Charger l’équipe promo de négocier une couverture en promettant à la rédaction un angle où l’homme se livre, parle comme il n’a jamais parlé, accepte toutes les questions, même les plus difficiles. Bref, monter un spectacle de sa saloperie et de brisures qui ne regardent désormais plus que lui, son psy et éventuellement la justice.

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