Serge Coosemans
Marcel Sel, le Chuck Norris de l’indignation permanente, est-il accro à la micro-célébrité?
Poser la question, c’est y répondre, estime Serge Coosemans, qui a lu Confessions d’un serial tweeter, le « bouquin sur Twitter » de Marcel Sel, le bloggeur belge qui est au cirque médiatique ce que l’éléphant est au magasin de porcelaine. Crash Test S01E09.
Ma petite fiancée a sa petite théorie sur mon travail. Environ une fois par mois, un truc que je publie me rend micro-célèbre pour une quinzaine d’heures. Ca me fait bien marrer, ça fait monter l’adrénaline, puis le buzz redescend tranquillou et tout le monde m’oublie. Adepte de la web-philosophie des « dix minutes à perdre » et assez warholien dans l’âme, je vis ça très bien. J’aime le kick, le rush, de la micro-célébrité, mais je n’y suis pas accro. Alors que d’autres… « C’est comme si, de temps à autre, tu te défonçais joyeusement la gueule une bonne grosse fois dans une bonne grosse soirée et que tu restais complètement clean le reste du temps, m’-a-t-elle dit. Marcel Sel, par contre, c’est le genre de gars qui carburerait à la cocaïne pour fonctionner au quotidien, même en milieu non festif. » C’est d’autant moins con, insultant et hors-contexte que dans son dernier bouquin, Confessions d’un serial tweeter, Marcel Sel parle énormément d’addiction. Pas à la drogue mais à Twitter et à la gloriole.
Confessions d’un serial tweeter est avant tout un recueil de tweets, le best of de ce que Marcel Sel a pondu de « mieux » sur le site de microblogging depuis son inscription, en 2009. Si on aime les calembours d’Almanach Vermot et l’humour balourd à la André Lamy, comique pas drôle pour qui Sel fait parfois le « nègre », ça peut faire sourire. En tous cas, c’est davantage maîtrisé que le reste du bouquin, une série de textes décevants où Marcel Sel explique son rapport aux réseaux sociaux, mais sans jamais en avoir grand-chose à dire, ne faisant que remixer à sa sauce l’opinion assez générale du « ça peut être bien, ça peut être moche ». J’attendais mieux de quelqu’un présent en ligne depuis tant d’années -un peu d’infos, de la perspective, du contexte, quelques fulgurances, moins de nombrilisme- mais Marcel Sel n’a en fait pas l’air d’avoir vraiment conscience de ce qu’il fabrique sur Twitter, encore moins des enjeux et du contexte plus généraux d’un réseau social à l’avenir plus qu’incertain et dont le modèle, l’utilité et les effets pervers (sur le journalisme, notamment) sont assez discutés. Détail parlant: au début du livre, il parle de Twitter comme d’un « site addictif », alors qu’ à la fin, il juge que c’est un « outil d’émancipation », qui permet « une nouvelle manière d’accéder à l’information ». Avancer d’une chose jugée aliénante qu’elle émancipe, c’est souvent comme ça que les utilisateurs parlent de leur came, et voilà donc bien une véritable rengaine toxico.
L’addiction est en fait l’angle principal du bouquin. C’est LA grande confession de Marcel Sel: il est complètement addict à Twitter et à la gloriole. Il a beau minimiser la chose et la raconter au second degré, si on a un peu lu sur le sujet de l’addiction (Hubert Selby Jr, James Frey, Anna Kavan, M. Aguéev, Tony O’Neill…), on reconnaît bien dans ses textes les schémas de pensée des toxicomanes. « Mon smartphone est une excroissance de moi-même », écrit-il notamment et c’est exactement comme ça que William Burroughs parlait de sa machine à écrire. « Une heure sans Twitter est tu n’es plus qu’un anonyme », confie-t-il aussi, avant de préciser qu’il lui arrive de tellement « checker son score » (voir si quelqu’un a répondu à un message, en clair), qu’il n’écoute plus ses proches, ne les entend même pas, rate des films, des dîners. Il lui arrive même d’oublier et de perdre ses effets personnels tellement il est occupé par son smartphone. Comme tout tox en pleine montée, Sel fait aussi beaucoup le kéké, visiblement plutôt fier de ses 8550 followers et d’être parvenu à lâcher 150.000 tweets en 6 ans; ce qui nous fait tout de même une moyenne d’environ 68 tweets par jour, sans compter les statuts et les interventions Facebook, ainsi que ce qu’il publie sur son blog, des textes souvent plus longs qu’un jour sans punk (chacun ses addictions, chacun ses jeux de mots). « Il suffit d’une journée d’absence pour se rendre compte qu’on ne peut pas vivre sans », écrit-il. « On devient nerveux. » Allô, les Twittos Anonymes? C’est pour une inscription d’urgence…
Sel hello to my little friend
Je ne sais pas si Twitter peut vraiment être comparé à la cocaïne mais ce qui est indéniable, c’est qu’il semble que chez certains utilisateurs, le réseau développe lui aussi la paranoïa et l’illusion de grandeur. Il faut lire Marcel Sel décrire le troll, par exemple, « petit esprit qui cherche à se faire remarquer par sa méchanceté », internaute « démoniaque », « purulent », « gargouillant », « sardonique » qui répand sur les réseaux sociaux « hargne, haine, violence verbale et jugement gratuit ». Le problème, c’est qu’en parlant de la sorte, Marcel Sel ne parle pas des trolls les plus imbéciles (qu’il suffit de bloquer ou d’ignorer) mais plutôt des gens qui le critiquent quand il publie des grosses carabistouilles et à qui il se sent obligé de répondre, le plus souvent de façon assez fantasque. Voilà pour la paranoïa: on lui en voudrait pour son fameux esprit (de sel) et ses prises de position alors qu’une grosse partie de ceux et de celles qui se foutent de sa fraise, certes parfois cruellement et en jouant à plus méchants qu’ils ne le sont vraiment, le font principalement parce que son fond de commerce consiste désormais à faire passer des chroniques pleines de trous, d’omissions et aussi subtiles qu’une charge de panzers pour des opinions courageuses et tranchées. Dans l’unique but de faire jaser, de le connecter à son public, à des journalistes, à des politiques. De générer de la gloriole.
Quant à l’illusion de grandeur, il ne faut pas chercher plus loin que les toutes premières lignes du livre pour la mesurer dans toute sa délirante grandiloquence. Confessions d’un serial tweeter est en effet dédié à Boruch Szlezinger, nonagénaire décédé au printemps 2015, rescapé de Buchenwald et des marches de la mort, qui utilisa Twitter afin de perpétuer la mémoire de l’Holocauste. « Dans ces réseaux sociaux qui peuvent être haineux, sordides, parfois même insoutenables, sa voix nous rappelle que l’humain est capable du pire comme du meilleur, et que ce meilleur peut même naître du pire », écrit Sel, en ouverture de ce qui reste tout de même avant tout un recueil de calembours de maximum 140 signes. Que vient faire un hommage aussi solennel sur la première page de texte d’un ouvrage à principalement lire aux chiottes, en principe pour se marrer? Marcel Sel veut-il nous dire que Twitter, bien utilisé, peut être un formidable instrument de connaissance, au cas où on ne l’aurait pas compris par soi-même? Compare-t-il les réseaux sociaux aux camps d’extermination? Nous conseille-t-il un compte Twitter un peu plus intéressant que celui de Nadine Morano, genre Follow Friday post-mortem? Cherche-t-il à nous faire croire qu’il est lui aussi un phare dans la nuit, un grand humaniste, un rempart contre l’abjection? Se compare-t-il à un survivant de l’Holocauste parce qu’il a lui-même survécu à un tweetclash avec Alain Destexhe et au fantasme probable de Fadila Lanaan de le voir étouffer dans un sac-poubelle bleu (celui des bidons vides)? Le Chuck Norris de l’indignation permanente serait-il donc en train de définitivement se transformer en Tony Montana de la couillonnade on-line 24/7, assis sur son sens des proportions, donnant son avis même quand on ne le sonne pas et mitraillant tout ce qui bouge dans un délire quasi-narcotique? Tant qu’on surfe sur le stupéfiant, autant dès lors lui conseiller une autre vieille antienne psychédélique: « turn on, tune in, drop out ». « Drop out », surtout.
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