LANCÉ FIN AVRIL SUR CANAL +, LE BUREAU DES LÉGENDES, PORTRAIT SOBRE ET SEC DE L’ESPIONNAGE FRANÇAIS, FERA PROBABLEMENT DATE DANS LE MONDE DES SÉRIES FRANÇAISES.

Mathieu Kassovitz est un drôle de coco. Le genre de mec qui peut signer le film d’une génération mais qui, deux décennies plus tard, va s’écharper comme un ado sur Twitter en tirant sur l’ambulance Véronique Genest. Fin avril, la comédienne se fendait en effet d’un 140 caractères pas franchement avenant sur Le Bureau des Légendes, nouvelle série Canal + (pas encore de diffusion prévue en Belgique) que porte à bouts de bras le réalisateur de La Haine. Lequel répliquait, gaulois: « Définitivement conne », « Merci pour votre critique. J’ai toujours admiré votre carrière et vos prises de position. Julie Lescaut, chef d’oeuvre », suivi d’un « Ah, j’avais oublié la pub pour le cochon. Magnifique! » du plus sarcastique effet. Pas le dernier pour le scandale, le Kasso. Cela posé, même si on peut lui reprocher un manque de distance face à une critique aussi finaude -en gros, Genest trouvait la série ennuyeuse- que son auteure, mais pas bien méchante, il faut reconnaître que Julie Lescaut et le Bureau des Légendes n’ont en commun qu’une filiation lointaine estampillée « série française ». Pas plus. La première, familiale et pantouflarde, est l’étendard (avec Navarro) de ce que la fiction hexagonale produisait dans les années 90 et 2000. La seconde, ambitieuse et sèche, s’inscrit dans la lignée d’Engrenages, de Pigalle, la Nuit, Braquo ou même récemment Les Revenants, autant d’essais qui, à des degrés divers, ont replacé nos voisins sur la carte mondiale des séries –Les Revenants a même été adapté aux Etats-Unis. Le Bureau des Légendes semble néanmoins bien parti pour faire école en France, de par la nature de son casting et par la rigueur remarquable de son traitement.

C’est une histoire d’espionnage. Guillaume Debailly, dit Malotru (Mathieu Kassovitz), agent français infiltré plusieurs années à Damas sous le nom de Paul Lefebvre, est rappelé en France. Et regagne le « bureau des légendes », service de la DGSE (les renseignements français) où l’on s’occupe de maquiller la vie des espions en mission. De crédibiliser leurs »légendes », leurs fausses identités, en les pilotant au jour le jour via de ternes employés manipulant de vieux PC pas sexy. Dès son retour à la « vie normale », Malotru doit traiter une affaire délicate: un des « clandestins » de la DGSE disparaît en Algérie, où il était missionné. D’où la course contre la montre dans laquelle s’engage l’agent secret, avec une sacrée épine dans le pied: Nadia, la femme dont il était tombé amoureux à Damas, le recontacte à Paris. Incapable d’effacer totalement ses sentiments, Guillaume va redevenir Paul en soirée, au risque de lancer une mécanique qui va bientôt lui échapper…

Univers cohérent

Aux commandes du Bureau des Légendes, Eric Rochant enfonce son clou. Avec Les Patriotes, il était l’auteur en 1994 de LA référence du film d’espionnage français. Une vraie marotte d’ailleurs, pour le cinéaste: son bien plus discutable Möbius (2013), avec un Jean Dujardin en agent russe -qui, pour crédibiliser son personnage, enchaînait les « Da! » sans qu’on puisse s’empêcher d’en rire-, confirmait sa passion pour le renseignement. Sauf qu’ici, Rochant efface complètement le côté glamour pour se concentrer sur l’essentiel: l’humain derrière l’opérationnel, quitte à faire âpre. Dans un format qu’il connaît, puisqu’il avait déjà chapeauté deux saisons de la très inégale Mafiosa. Une expérience utile, et poussée plus avant dans le cas qui nous occupe: le cinéaste a vraiment les coudées franches pour Le Bureau des Légendes. Endossant le rôle très américain de « showrunner », Rochant a la main sur tout le processus de création, de la production au scénario, en passant par la réalisation, qu’il confie ici à de jeunes metteurs en scène issus du cinéma d’auteur. Lesquels ont tourné, pour l’essentiel, à la Cité du Cinéma de Luc Besson, dans les meilleures conditions possibles. Cette maîtrise totale des paramètres de création donne une cohérence aussi remarquable qu’inhabituelle au dispositif. Bien sûr, le casting est costaud. Mathieu Kassovitz excelle dans la retenue et la sincérité, Jean-Pierre Darroussin aussi (forcément), tandis que Jonathan Zaccaï, Léa Drucker ou Sara Giraudeau jouent la sobre partition qui leur est donnée avec beaucoup de justesse. Mais si d’aucuns lui trouvent un manque de souffle romanesque et quelques longueurs, Le Bureau des Légendes marque les esprits par son scénario. Un scénario complexe, malin et parfaitement maîtrisé -avec un bémol pour la fin de saison, un chouïa bâclée. Cela dit, rarement, pour ne pas dire jamais, série française n’aura été aussi cohérente dans ses arcs narratifs, comme si les dix épisodes étaient réellement nécessaires au déploiement de tous les éléments, égrenés patiemment. S’appuyant frontalement sur la géopolitique du moment (conflit en Syrie, djihadisme, rôle de la Russie etc.), Rochant colle à l’actualité, tout en se donnant de l’élan pour les saisons suivantes. Et quelle que soit la crédibilité des thèses et des situations qui sont exposées, on y croit dans les grandes lignes, parce que l’univers général de la série est cohérent. La deuxième saison est déjà en cours d’écriture, ce qui devrait permettre à Canal + de la diffuser rapidement: encore une preuve que nos voisins ont franchi un palier avec cette nouvelle fiction.

LE BUREAU DES LÉGENDES. SÉRIE CANAL + CRÉÉE PAR ERIC ROCHANT. AVEC MATHIEU KASSOVITZ, JEAN-PIERRE DARROUSSIN, LÉA DRUCKER. DIX ÉPISODES. EN COURS DE DIFFUSION.

TEXTE Guy Verstraeten

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content