Hole of Sound

Hari Kunzru remet en lumière l’héritage des bluesmen noirs dans une satire qui mêle enquête fantomatique et réflexion sur l’appropriation culturelle.

A priori, rien ne devait faire de Seth et Carter des partners in crime: le premier est transparent aux yeux de tous depuis l’adolescence, du genre à épier les conversations intimes avec un kit audio bricolé. Le second est un Wallace (une illustre famille républicaine liée aux Bush) et l’archétype du DJ du campus aux poches pleines vers lequel convergent toutes les attentes. Le roman les lie à jamais par le pacte sacré du son. Montés à New York après leurs études, ils fondent un studio et acquièrent une solide réputation comme producteurs. Le goût de Carter pour les équipements analogiques et son attirance obsessionnelle pour la musique noire les poussent à se croire détenteurs d’un savoir ultime:  » Nous étions ceux qui rêvaient d’aller à Kingston assister à un soundclash. Ceux qui savaient ce que John Coltrane recherchait quand il avait poussé à fond son saxo ténor dans la partie centrale d’A Love Supreme ». Jusqu’au point d’incandescence du roman: par inadvertance, Seth enregistre un blues du fond des âges entonné par l’énigmatique vainqueur d’une partie d’échecs. Les deux compères nettoient la bande, lui rendant une pureté quasiment irréelle. Tout à sa marotte dévorante de collectionneur de 78 tours, Carter façonne la figure d’un faux musicien pour cette voix si authentique. Posté sur la toile, le morceau forgé provoque une réaction inattendue. Un certain JumpJim prétend avoir déjà entendu parler de ce Charlie Shaw factice et cherche à tout prix à les rencontrer.

Hole of Sound

Ghost World

Ce qui était jusque-là un portrait sociologique drôle et très piquant de deux hipsters apprentis sorciers bascule alors dans un thriller paranormal échevelé et envoûtant. Carter, agressé dans un quartier mal famé, tombe dans le coma. Seth, mis à la porte par le clan Wallace, doit à tout prix comprendre quelle ire ancestrale ils ont bien pu provoquer. Le récit se fait alors hanté jusqu’à la moelle et comme un fétu de paille en plein Oklahoma, notre loser patenté se retrouve ballotté de fausses pistes en impasses. Lorsque JumpJim évoque le club de pointilleux amateurs de blues dont il a jadis été membre, on songe avec tendresse à Seymour dans Ghost World, incarné par Steve Buscemi. Enchâssant des voyages à deux époques dans le Delta du Mississippi, l’Anglais Hari Kunzru ( Dieu sans les hommes) déclenche un rire démoniaque face à nos croyances et à la conviction d’innocence de Seth quant à l’héritage pillé. Et ouvre de nouvelles trappes glissantes quand on pensait l’énigme de Charlie Shaw résolue. C’est avec un aplomb bien documenté (des pratiques des studios de l’époque aux morceaux emblématiques cités) que le romancier met le doigt sur des plaies non cicatrisées de l’Amérique. Minstrels shows, appropriation culturelle sous couvert de musicologie, quête du Graal de l’authenticité musicale? Autant de sujets épineux qu’il dissèque avec autant de déviations volontaires que de réflexions ciselées. On conseillera donc ardemment Larmes blanches à ces chers geeks qui ont pris le temps de lister les samples de The Avalanches, aux fadas de Robert Johnson et d’Alan Lomax ou à tous ceux chez qui le son d’un vinyle crachotant provoque de vives réactions émotionnelles.

Larmes blanches

D’Hari Kunzru, éditions JC Lattès, traduit de l’anglais par Marie-Hélène Dumas, 300 pages.

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