ROMAN | À travers la biographie romancée de J.D. Salinger et d’Oona O’Neill, Beigbeder se livre surtout à une introspection. On ne se refait pas.
« J’ai envie de raconter une histoire. Saurai-je un jour raconter autre chose que mon histoire? » Placée en exergue de son nouveau roman, cette citation de Pierre Drieu La Rochelle sonne comme un aveu. Ou une profession de foi, c’est selon. Qu’il mette son nez poudré dans les poubelles de la publicité (99 francs), qu’il se frotte au cauchemar du 11 Septembre (Windows on the world) ou, a fortiori, qu’il grimpe dans les branches de sa généalogie (Un roman français), la petite personne de Frédéric Beigbeder n’est jamais loin. Comme si le matériau littéraire n’était chez lui qu’un prétexte pour explorer les galeries souterraines de sa psyché. Rien de neuf. Sauf que là où d’autres s’abritent derrière le paravent de la fiction, lui se dissèque à ciel ouvert, sans pudeur ni faux-semblants.
On aurait toutefois pu penser qu’en s’attaquant à la biographie largement romancée de son auteur culte, l’énigmatique J.D. Salinger, l’ego de FB se serait quelque peu effacé, comme une flamme réduite à un simple souffle sur la gazinière intime. Eh bien non. Incorrigible, il relit la vie de son héros, et dans le même élan celle de son premier amour, Oona, fille du prix Nobel de littérature 1936 Eugene O’Neill et future madame Chaplin, à travers le filtre de son Moi surdimensionné. Le résultat est un roman-miroir qui, pour s’appuyer sur des faits historiquement vérifiés, suinte par tous les pores les obsessions, les manies, les doutes de ce nostalgique d’une époque où boire des Vodkatinis dans les bars branchés était considéré comme un geste esthétique.
La passion selon Saint Frédéric
Tout démarre en 1940 avec la rencontre dans le très chic (et enfumé) Stork Club de New York entre une jolie « glamour girl » de quinze ans entourée de beau linge (deux héritières, Gloria Vanderbilt et Carol Marcus, et un dandy ambitieux, Truman Capote) et le futur auteur de L’Attrape-coeurs. Elle a la ville à ses pieds, lui est un grand dadais timide de six ans son aîné, très doué pour la mélancolie. Subjugué par sa perfection et ses fêlures cachées (son père la délaisse), il ne se remettra pas de leur brève et chaste liaison, la fantasmant jusqu’au bout de sa réclusion à perpétuité (Salinger vivra coupé du monde jusqu’à sa mort en 2010), ne digérant pas en particulier qu’elle l’ait trahi avec le vieux Charlot, qu’elle épousera d’ailleurs en 1943, pendant que lui risquait sa peau en Europe. Le récit parallèle de leurs existences serpente entre les réflexions farcies de romantisme ou, au contraire, de cynisme de Beigbeder, sur le couple, sur l’amour, sur la vieillesse, sur la passion, sur la littérature.
Celui qui est aussi directeur du magazine Lui et chroniqueur télé et radio prisé, entre autres mondanités, a le bon goût d’assumer son narcissisme, jusqu’à la caricature. Quitte à éclipser parfois l’écrivain derrière le pitre. Avec une bonne dose de toupet -il n’hésite pas à imaginer les lettres dont Jerry inonde Oona, faute d’avoir pu mettre la main sur les originaux-, et un sens certain pour les formules qui claquent, le romancier a le chic pour traiter avec légèreté ce qui est sérieux, et inversement. L’ensemble est rythmé et plaisant à lire, mais ressemble à ces bulles de savon aux reflets scintillants qui enchantent le regard un instant avant de s’évanouir aussi vite qu’elles sont apparues.
- OONA & SALINGER DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER, ÉDITIONS GRASSET, 288 PAGES.
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