Le romancier français Patrick Modiano prix Nobel de littérature

Patrick Modiano © BELGAIMAGE
FocusVif.be Rédaction en ligne

Le prix Nobel de littérature a été décerné jeudi au romancier Patrick Modiano, 69 ans. Le lauréat 2014 est français mais sa mère, Louisa Colpijn, une ancienne comédienne, est belge. Portrait.

Modiano a été récompensé pour « l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation », a indiqué l’Académie suédoise dans un communiqué.

Le romancier français a centré toute son oeuvre sur le Paris de la Seconde Guerre mondiale, dépeignant le poids des événements tragiques d’une époque troublée sur le destin de personnages ordinaires.

Le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise Peter Englund a indiqué à la télévision publique suédoise SVT que l’institution n’avait pas réussi à joindre le lauréat avant d’annoncer le vainqueur de ce prix.

Patrick Modiano succède à la nouvelliste canadienne anglophone Alice Munro, primée en 2013, et emporte la récompense de huit millions de couronnes (environ 878.000 euros).

Modiano est « heureux », mais trouve cela « bizarre »

Quand son éditeur Antoine Gallimard a appelé Patrick Modiano pour le féliciter pour son Nobel de littérature, l’écrivain était « très heureux », mais il a répondu avec « sa modestie coutumière, ‘c’est bizarre’« , a raconté jeudi le PDG de Gallimard à l’AFP.

« C’est une profonde surprise pour nous et un jour merveilleux », a ajouté l’éditeur. « J’ai reçu un coup de téléphone de l’académie suédoise deux ou trois minutes avant l’annonce officielle. Avec sa discrétion légendaire, je pense à lui (Modiano, ndlr) quand il devra prononcer son discours devant l’académie suédoise », a-t-il ajouté dans un sourire, « et je serai à ses côtés ».

Antoine Gallimard pensait « qu’il aurait fallu attendre 30 ans pour qu’un autre Français soit couronné par le Nobel après Le Clézio » en 2008. Et aussi que ce prix récompensait « plutôt des livres qui brassent les époques, les événements. Là, ils ont choisi une oeuvre qui est dans l’intimité, le mystère », a-t-il noté.

Le président français François Hollande a par ailleurs adressé ses « plus chaleureuses félicitations » au nouveau prix Nobel de littérature en saluant dans un communiqué son « oeuvre considérable qui explore les subtilités de la mémoire et la complexité de l’identité ».

Agé de 69 ans, le romancier Patrick Modiano est le quinzième auteur français à recevoir cette distinction. Il a été récompensé par l’Académie suédoise pour « l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».

Patrick Modiano a reçu le Prix Nobel de Littérature 2014.
Patrick Modiano a reçu le Prix Nobel de Littérature 2014.© BELGAIMAGE/Jonathan Nackstrand

Un archéologue de la mémoire

En archéologue de la mémoire qui ne peut écrire que sur le passé, notamment les années 40, Patrick Modiano, couronné jeudi par le Nobel de littérature, est l’auteur d’une oeuvre singulière, quête identitaire sans fin, entre romantisme et roman policier en trompe-l’oeil.

Le manque de tendresse dans son enfance le hante. On peut même se demander si toute son oeuvre n’est pas une longue lettre adressée à ses parents. Toujours est-il que le jeune mal aimé a donné aux lettres françaises une trentaine d’ouvrages, autant de bijoux de mélancolie et de mystère.

Patrick Modiano publie son premier roman La Place de l’étoile en 1967, à 22 ans. Il obtient en 1972 le Grand Prix du Roman de l’Académie française pour Les Boulevards de ceinture, le Goncourt en 1978 avec Rue des Boutiques Obscures et le Grand prix national des lettres pour l’ensemble de son oeuvre en 1996.

Depuis, cet homme intranquille, d’une courtoisie parfaite, a conquis le public avec des fictions, comme Dora Bruder (1997), Un pedigree (2005), Dans le café de la jeunesse perdue (2007), L’Herbe des nuits (2012) et Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, son 28e roman paru, en octobre 2014. L’auteur y vogue de nouveau dans ses souvenirs. Une citation de Stendhal, en exergue, donne le ton de cette ballade dans le passé sur laquelle planent abandon, secrets et menace diffuse: « Je ne puis donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre ». Tout Modiano s’y retrouve…

Un adjectif: modaniesque

De ses livres, un néologisme est né: « modianesque » pour évoquer un personnage (ou une situation) ni logique, ni absurde, à mi-chemin entre deux mondes, entre ombre et lumière. Modiano, qui n’éprouve aucun goût pour l’introspection, considère que plus les choses sont mystérieuses, plus elles sont intéressantes: « Et même j’essayais de trouver du mystère à ce qui n’en avait aucun », a-t-il admis dans Un pedigree, un texte autobiographique.

On ne sait jamais vraiment d’où viennent ses personnages, parfois récurrents d’un livre à l’autre, ni ce qu’ils pensent réellement. Leur biographie reste incertaine. On les croise dans un Paris banal pour l’oeil profane mais soudain paré, sous la plume du romancier, d’une beauté grise et nostalgique. Ses pages fourmillent de noms de rues parisiennes ou de banlieue, de places, de cafés, de stations de métro et de patronymes.

De beaucoup d’écrivains, on dit qu’ils font toujours le même livre: c’est particulièrement vrai de son oeuvre homogène, émouvante et distanciée. Des romans, qui sont comme « les motifs d’une tapisserie que l’on aurait tissée dans un demi-sommeil », selon ses propres mots. Longues rêveries sur la réalité, écrites dans une langue classique, précise et sobre.

« L’Occupation, c’est comme un terreau sur lequel j’ai poussé », dit l’écrivain de 69 ans qui a bâti plusieurs romans (Remise de peine, Quartier perdu, Villa triste…) sur cette période. Peu importe qu’il ne l’ait pas connue, il a su exprimer très tôt le rapport, forcément compliqué, du pays à la Collaboration avec l’occupant allemand.

Enfance vagabonde et solitaire

Son père, Alberto Modiano, juif italien proche de la Gestapo et de la pègre, rencontre en 1942 à Paris une jeune comédienne flamande, Louisa Colpijn. Trois ans après, naît leur premier fils, Patrick, le 30 juillet 1945 à Boulogne, près de Paris. Le jeune Patrick vit une enfance vagabonde et solitaire, souffrant de longs séjours en pensionnats. Son frère cadet, Rudy, meurt en 1957: il lui dédiera ses premiers livres. Avec humour, il dira que leur mère avait le coeur si sec que son chow-chow, brisé par son indifférence, se serait suicidé en se jetant par la fenêtre.

A 17 ans, il décide de ne plus jamais voir ce père haï, qui sera la cible de plusieurs de ses livres. Il tiendra parole. Il cesse les études après le baccalauréat et, soutenu par Raymond Queneau, ami de sa mère, se met à écrire: « Je n’avais pas 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance ».

Livres écrits à la main

Livre après livre -écrits à la main, pour lutter contre le côté « abstrait » de l’exercice-, il va construire son musée imaginaire, hors des modes, jusqu’à être considéré comme un classique en France. Ses ouvrages se vendent bien, y compris à l’étranger, même si on ne le voit pas à la télévision.

Grand, le teint pâle, le regard doux, le visage un peu douloureux, il est connu pour sa difficulté à s’exprimer, sa discrétion et son indifférence aux honneurs, lui qui a refusé d’entrer à l’Académie française.

Cet amateur de fait divers, marié depuis 1970 avec Dominique Zehrfuss et père de deux filles, ne s’est toutefois pas retiré du monde. En 1974, il écrit, avec le cinéaste Louis Malle, le scénario du film à succès, Lacombe Lucien, histoire d’un adolescent dans la France de 1944.

Il est l’auteur d’un essai avec Catherine Deneuve sur sa soeur tôt disparue, François Dorléac. Juré en 2000 du festival de Cannes, il a aussi écrit des paroles de chansons, comme Etonnez-moi Benoît!, interprétée par Françoise Hardy.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content