Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Wonder Lover, de Malcolm Knox

Malcolm Knox © Patrick Cummins
François Perrin Journaliste

ROMAN | Mal connu chez nous, l’Australien Malcolm Knox a publié quantité d’enquêtes journalistiques. Et ce roman troublant sur la raison conjugale.

Personnage principal de cette fable féroce, John Wonder est un homme à proprement parler sans odeur, dont ni le visage ni la dégaine ne parviennent à se fixer dans les mémoires de ses interlocuteurs. Doué dès la naissance pour la collecte de records et chiffres édifiants concernant tout et n’importe quoi, il intégrera fort logiquement l’équipe des frères McWhirter et de leur fameux Guiness… pour y mener une irréprochable carrière de « Certificateur en chef de faits extraordinaires », de juge-arbitre des exploits insensés commis par une foule d’illuminés à destination de publications toujours plus racoleuses. L’exactitude est son moteur, la rigidité d’esprit au bas mot son trait de personnalité le plus saillant, l’obsession rationnelle -mêlée du lâche souci de ne pas laisser de trace- le prétexte idéal pour transformer aux yeux du voisinage cet asocial chronique en très probable agent secret.

Pour autant, et pour ces mêmes raisons paradoxalement, Mister Wonder n’est pas vraiment en reste: ayant cloisonné au fil du temps trois vies parallèles sur trois continents, autant de mariages et trois paires de gamins affublés des mêmes prénoms, il vogue des uns aux autres au rythme des appels internationaux d’une foule surexcitée de dingos ou mythomanes avides de voir leurs noms gravés dans les gazettes. Parce qu’au nom de la grande mission existentielle dont il se sent investi, celle d’une « sous-espèce rebelle » occupée dans le tumulte du monde à « revenir sur le passé pour mieux le préserver », il ne veut pas avoir à choisir, ni faire de la peine -bien pratique.

Affaissement des digues

[Le livre de la semaine] Wonder Lover, de Malcolm Knox

L’une des merveilles de ce Wonder Lover naît d’un choix narratif pour le moins original: toute l’histoire sera racontée, débitée en trois parts égales, par un corpus indistinct constitué des six rejetons formant communauté chamanique, et qui oscillera en permanence entre première et troisième personne, voire adresse au daron, pour raconter les étapes de sa descente aux enfers. Car bien entendu, les gamins l’avouent dès le départ, rien ne va se passer comme prévu. Si ce père aux passionnantes anecdotes pour s’endormir a découpé en trois tranches son volume d’amour pour hériter aux yeux des marmots du titre de « super-Papa-quand-il-est-là », il a mené sa vie et progressivement construit ses nids en fonction de ses attentes propres. Comme beaucoup de ses congénères le font, au demeurant, au cours de leur existence, mais en prenant soin généralement, immédiatement ou après quelques temps, de passer tout de même d’un ménage à l’autre sans les aligner comme des vases sur une étagère.

Du coup, quand il se met en tête, vieillissant, alors que ses femmes successives incarnaient toutes quelque chose qui lui manquait précédemment -complicité, conflictualité, compassion-, d’épouser la Beauté au sens propre, sa route croise celle d’une gamine splendide mais boursouflée d’ennui, opiniâtre dans son entreprise d’avilir le désir masculin en bradant ses incroyables charmes aux plus rustauds des butors -se rabaissant ainsi « délibérément en s’habillant mal, en allant dans le pire bar et le pire restaurant de la ville, en se faisant passer pour une fille à VRP ». Et qui lui fera, fort logiquement, tourner la tête jusqu’à affaissement de toutes ses digues mentales. Le tour de force de l’auteur tient aussi à sa capacité à alterner crudité froide et portraits psychologiques (individuels ou collectifs) poussés, dans une composition d’une rare originalité, lisible pourtant sans migraine programmée.

DE MALCOLM KNOX, ÉDITIONS ASPHALTE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (AUSTRALIE) PAR PATRICIA BARBE-GIRAULT, 312 PAGES.

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