Critique | Livres

Le livre de la semaine: Les Fantômes voyageurs, de Tom Drury

Tom Drury © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN | Deuxième volet d’une trilogie naturaliste et ouatée, ces Fantômes voyageurs prolongent la petite musique rare et précieuse jouée par Tom Drury.

Le livre de la semaine: Les Fantômes voyageurs, de Tom Drury
© Cambourakis

Etrange Tom Drury. Et étranges romans, au pluriel, tellement inclassables… La rencontre s’était faite avec La Contrée immobile, longue nouvelle, déjà située dans le Midwest et déjà ouatée, qui virait au noir et gardait donc encore quelques points d’ancrage et de repères. Repères qu’il a commencé à systématiquement effacer avec La Fin du vandalisme, trilogie entamée il y a 20 ans aux Etats-Unis, et bouclée l’année dernière en VO avec Pacific. Plus d’intrigue proprement dite, et encore moins de genre identifiable: Tom Drury se pose dans le comté -imaginaire- de Grouse, dont il connaît le moindre chemin de terre, la moindre ferme abandonnée, et surtout le moindre des habitants. Dans La Fin du vandalisme, il suivait ainsi, au plus près, près de 70 personnages et sur plusieurs années. Une temporalité qui s’imprègne par essence de petits moments de bonheur et de grands drames, toujours évoqués de la même manière: distanciée et bizarrement drôle, nourrie en permanence par les dialogues a priori décalés de ses personnages, eux-mêmes presque étrangers à leurs propres aléas. Les Fantômes voyageurs creuse le sillon et la sensation d’effacement (très présente chez Drury), mais change de format, comme si le 33 tours devenait un maxi 45: cette fois, la petite musique si particulière de l’auteur se focalise, toujours dans le même comté, sur la vie d’une seule famille, et sur seulement quelques jours. Le clan de Joan, prosélyte à peine croisée dans La Fin du vandalisme, devenue ici la nouvelle incarnation des ambitions douces mais folles de Drury: (d)écrire le moins pour dire le plus, et le plus profond, sur l’âme américaine.

Effacement contre disparition

Une famille donc, avec ses membres et ses à-cotés: Charles, obsédé par le fusil que la veuve du pasteur garde accroché au-dessus de sa cheminée; Jerry, qui « aimait gâcher le plaisir des autres, c’était son dernier hobby en date »; Joan donc, qui « se demande pourquoi des événements aléatoires étaient parfois à ce point significatifs »; Follard le vagabond, qui « avait plein de bonnes histoires, pleines de violence et de casse »; la jeune Lyris, abandonnée à la naissance par Joan, revenue à l’âge de seize ans comme si de rien n’était… Une poignée de personnages plutôt, cette fois, que des dizaines, pour une même sonorité, vaguement à mi-chemin entre Faulkner et les frères Coen: entêtante, hypnotisante et incroyablement efficace sous ses allures innocentes. Le drame, le crime, tout le temps, effleurent, menacent, semblent poindre et étreignent -ce fusil au-dessus de la cheminée, cette bombe artisanale qu’aimerait construite Follard- sans jamais menacer l’écoulement doux de la vie du comté, royaume perdu et hors du temps, rempli de fantômes, voué à une lente, si lente disparition, et pourtant toujours là.

  • DE TOM DRURY, ÉDITIONS CAMBOURAKIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR NICOLAS RICHARD, 226 PAGES.

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