Critique | Livres

La BD de la semaine: Moonhead et la music machine, d’Andrew Rae

Moonhead et la music machine © Dargaud
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN GRAPHIQUE | Un ado souffre-douleur à tête de lune voit sa vie transformée grâce à la musique dans cette fable onirique au graphisme chatoyant.

La BD de la semaine: Moonhead et la music machine, d'Andrew Rae

Comment ne pas répéter ce qui a déjà été dit dans toutes les langues sur le thème ultra rabâché de l’ado mal dans sa peau et souffre-douleur des emmerdeurs de service? Poil de carotte, le classique de Jules Renard, ou plus récemment, et dans des registres forts différents, Harry Potter, We Need to Talk about Kevin, Elephant, et jusqu’au biopic The Imitation Game recensant les affres du jeune Alan Turing qui façonneront sa personnalité agitée, ont labouré intensivement ce champ affectif.

L’Anglais Andrew Rae, dont c’est la première incursion au rayon BD, a pourtant déniché un lopin de terre vierge où planter sa petite graine graphique. Au récit dramatique ou au traitement humoristique façon teenage movie, ce directeur artistique touche-à-tout (il est membre du collectif pluridisciplinaire Peepshow et travaille pour de grandes marques comme pour les principaux médias de sa Majesté) a préféré la métaphore psyché pour aborder les rives sauvages de l’âge ingrat. Larguez les amarres du réalisme…

Joey Moonhead porte bien son nom. Ce collégien presque ordinaire est en effet affublé d’une tête en forme de lune. Comme ses parents. Une incongruité physique dont ne semblent s’émouvoir ni sa meilleure -et seule- amie Sockets ni son cauchemar vivant, Douglas, qui non content de l’humilier à la moindre occasion se tape la fille qui fait fantasmer tout le bahut, Joey le premier.

Du côté de Miyazaki

L’avantage de cette drôle de cafetière, c’est qu’elle lui permet de s’échapper du réel sans se faire trop remarquer. Son corps est bien présent mais sa tête est en vadrouille. On la croise tantôt dans l’univers, tantôt dans un jardin d’Eden au bras de la sculpturale Melissa. Joey vit dans ses rêves. Voilà pourquoi il est souvent aux abonnés absents quand quelqu’un l’interpelle. Un garçon qui a la tête dans la lune, au sens propre et figuré…

Quand l’école annonce l’organisation d’un radio-crochet, il y voit une occasion de sortir du placard des losers. D’autant que la musique stimule chez lui ce pouvoir d’évasion. Avec l’aide de Ghostboy, un fantôme bricoleur et mélomane sorti de nulle part (sinon de son imagination), il va fabriquer un instrument magique dont les sons colorés vont transformer les élèves en monstres inoffensifs. On se croirait chez Miyazaki dans cette évocation de la différence par le prisme faussement enfantin du fantastique.

Voilà en tout cas Joey propulsé d’un coup au sommet de la coolitude, ce qui ne va pas tarder à le mettre en confiance. Un peu trop même. Il ne va pas hésiter à jeter Sockets comme une vieille… chaussette quand Douglas et Melissa feront mine de s’intéresser à son sort. Mais leur véritable nature ne tardera évidemment pas à resurgir.

Sur une trame finalement très classique, l’auteur réussit à renouveler le mythe de l’ado mal-aimé et différent en le parant des atours de la métaphore onirique cousue dans une ligne claire soyeuse aux effets légèrement psychédéliques. Une démonstration originale de la puissance de l’imagination, refuge des persécutés de tous poils. Osons le jeu de mots: pour son premier essai, Rae n’est pas loin de… décrocher la lune.

  • D’ANDREW RAE, ÉDITIONS DARGAUD, 176 PAGES.

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