Critique | Livres

La BD de la semaine: Le Voleur de livre

Le Voleur de livres © Futuropolis
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN GRAPHIQUE | Une comédie drôle et féroce dans le Paris littéraire des années 50, sur les pas d’un ambitieux qui a choisi l’imposture comme marchepied. Un pur régal.

Il va falloir ouvrir l’armoire à superlatifs. Qu’est-ce qu’on a au-dessus de la pile? « Sublime »? Oui, voilà, c’est exactement ça. Le Voleur de livres est un album sublime, de ceux qui vous chatouillent les tripes tout en vous asticotant les neurones!

La BD de la semaine: Le Voleur de livre
© Futuropolis

Dans le Paris en pleine ébullition des années 50, un jeune ambitieux, Daniel Brodin, étudiant pas très assidu en Droit à la Sorbonne et poète à ses heures, est prêt à tout pour se faire un nom dans le microcosme germanopratin où s’affrontent les différentes avant-gardes. Quand une amie lui propose d’aller au Café Serbier où s’affrontent les poètes en vue, il ne se fait pas prier. Ni pour se lever quand l’influent Miguel Bélanchon invite un inconnu -parce que « la poésie la plus authentique de France naît dans la rue »– à venir déclamer ses vers. Craignant de se ridiculiser, il décide in extremis d' »emprunter » le poème d’un auteur italien non traduit. L’assemblée n’y voit que du feu et lui fait un triomphe. Il y a pourtant une âme lettrée qui a flairé la supercherie mais ne fait pas mine de le dénoncer. Pas encore…

Paris à la carte

Le vol est un peu sa spécialité: quand il ne plagie pas, il dérobe des livres. La faute à un grand-père qui cachait ses photos de cul dans les romans. Depuis, le jeune homme entretient un rapport très pulsionnel avec la littérature… Sur les quais où il a atterri après une course-poursuite avec un libraire, il fait la connaissance d’un couple de nihilistes. Séduit par la liberté et l’intégrité de ces libertaires pour qui « la vie est le terrain de jeu de l’art », Brodin gagne leur confiance en expliquant, mensonge à l’appui, qu’il a monté le coup du plagiait pour dénoncer l’imposture des élites parisiennes. Triomphe bis auprès de ses nouveaux amis. Il retourne la veste de coqueluche littéraire qu’il venait à peine d’enfiler… Et le soir même accompagne la petite bande emmenée par Gilles pour une sorte de happening provocateur au cercle Paul-Valéry où se presse le Tout-Paris mondain et bourgeois.

Le début d’une série d’expériences, qui vont le mener du lit de la jolie Colette au café Sully en passant par des errances dans la ville sous influence narcotique. Son audace dans le mensonge et l’imposture va le protéger de la disgrâce. Mais le costume qu’il a revêtu est trop grand pour lui. Jean-Michel, l’armoire à glace qui ressemble à Depardieu, va lui brûler la politesse de la célébrité, le renvoyant à son anonymat. Adieu la publication dans Les Temps modernes, la revue de Sartre…

Une évocation électrique de Saint-Germain-Des-Prés doublée d’un récit haletant qui font chavirer la tête et le coeur. Cette comédie drôle et féroce qui traverse toutes les strates du millefeuille sociologique et idéologique de l’époque malaxe avec tendresse la nostalgie d’une décennie où un poème pouvait déclencher une bagarre.

Les dialogues ciselés et pleins d’esprit sont chauffés à blanc par une mise en scène virtuose montée sur les ressorts d’un trait souple et expressif qui n’est pas sans rappeler les volutes graphiques de Christophe Blain. Alessandro Tota au scénario et Pierre Van Hove au dessin réalisent un sans-faute pour cette première collaboration. Ces deux-là avaient échappé jusqu’ici à notre radar. Leurs noms clignotent désormais en grand au milieu de l’écran…

LE VOLEUR DE LIVRES, D’ALESSANDRO TOTA ET PIERRE VAN HOVE, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, 176 PAGES.

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