ROMAN | Dans Il est de retour, Timur Vermes imagine que le Fürher se réveille en 2011. Une farce hilarante et glacante, dont le succès questionne autant que le propos.
On savait, depuis Chaplin, qu’il était possible de rire de lui. L’Allemand Timur Vermes nous propose aujourd’hui de rire avec lui: Adolf Hitler est de retour à Berlin, le 30 août 2011. Une faille temporelle qui a sans doute suivi son suicide –« Je crois que nous avons bavardé, Eva et moi, et je lui ai montré mon vieux pistolet. A part ça, aucun autre détail ne m’est revenu en mémoire »– mais qui ne va pas le déstabiliser longtemps. La surprise passée –« Le plus stupéfiant restait quand même la situation actuelle de l’Allemagne. A la tête du pays se trouvait une femme pataude, aussi charismatique qu’un saule pleureur », le maître du Troisième Reich, responsable de la Seconde Guerre mondiale et de la mort industrialisée de six millions de Juifs, va rapidement retomber sur ses pattes, et comprendre tout le profit à tirer de cette époque marquée par la consommation et le divertissement: d’abord comme star de la Toile, trop contente de partager les élucubrations de cet artiste alternatif si provocant, puis comme invité récurrent d’un talk-show. Avant, peut-être, d’écrire un nouveau livre et de se reconstruire un parti et un avenir. Pourquoi pas chez les Verts ou le parti Pirate? Le tout raconté à la première personne.
Outrances
Il fallait être juif et talentueux pour oser cette farce, et ne nourrir aucun doute sur sa portée et son degré de lecture. Timur Vermes, journaliste désormais romancier, a le bon goût d’être les deux, et ne se prive donc d’aucune outrance en se mettant dans les mots et la tête de Hitler: « Les Juifs ne sont pas un sujet de plaisanterie », nous dit ainsi le « héros » de son premier roman, qui passe pourtant son temps et ses pages à faire sourire le lecteur qui en même temps grince des dents. Mais ce « héros », plus marketing que nécessaire, ne lui sert en réalité que de prétexte pour mener une charge au moins aussi outrancière sur l’Allemagne (et l’Europe) d’aujourd’hui, peuplée d’Ostrogoths dépolitisés, prêts à suivre le premier génocidaire venu pour peu qu’il ait de l’allant et le soutien des médias! Too much? La farce, d’hilarante, se fait effectivement glaçante au fil des pages, jusqu’au malaise: à lire Timur Vermes, 2011 n’a rien à envier à 1933 en termes de potentiel destructeur.
Reste cette question: le cynisme de l’auteur sera-t-il compris de tous? Plus d’un million d’Allemands se sont rués sur ce Il est de retour, déjà acheté par le cinéma, admirablement marketé et packagé, à l’image de son contenu: à la limite d’un mauvais goût qui n’est jamais franchi par son auteur, mais qui parie sur l’intelligence de ses lecteurs pour qu’ils en fassent autant. On lui laissera la responsabilité de cette conviction.
- DE TIMUR VERMES, ÉDITIONS BELFOND, TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR PIERRE DESHUSSES, 406 PAGES.
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