Critique | Livres

Double dose de Loustal

Barney et la note bleue / Black Dog © Casterman
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Loustal réédite sa biographie très libre du saxophoniste Barney Wilen et signe dans le même temps un polar rêche. Point commun: le goût des belles images.

Les années passent et Loustal reste. Depuis 1980, son trait faussement naïf rehaussé de couleurs pastels chatoyantes se décline, entre deux récits de voyage, en albums classieux aux forts effluves cinématographiques. Nouvelle démonstration avec cette double actualité charriant les alluvions de ses obsessions artistiques majeures, jazz d’un côté, polar de l’autre.

Réédition d’un titre mythique publié en 1987, Barney et la note bleue ressemble à un rêve éveillé reformulant dans un langage atmosphérique les termes du biopic classique. Pour mettre en scène la vie chahutée du saxophoniste Barney Wilen (1937-1996), Loustal et son complice Paringaux ne s’engouffrent pas sur la voie à six bandes du récit factuel, ils empruntent les petites routes sinueuses d’une narration romanesque diluant la vérité sous serment dans le bouillon charnel du fantasme.

Père américain et mère française, Barney débarque à Paris en 1958 et tape immédiatement dans l’oreille d’un directeur artistique. Les portes du swinging Paris semblent s’ouvrir devant lui. Mais la fête va être rapidement gâchée par un tempérament hiératique et l’arrivée d’une invitée surprise: l’héroïne. Une compagne envahissante et bientôt destructrice. Un séjour prématuré aux Etats-Unis où il n’est personne lui coupe définitivement les ailes. Il décide d’aller se faire oublier en Espagne, gâchant son talent dans des orchestres pour touristes. Son manager le ramènera en France. Mais l’inspiration l’a déserté. Et pour remercier son sauveur, il s’enfuit avec sa femme…

Textes poétiques, cadrages sensuels, clairs-obscurs et fluidité de l’aquarelle peaufinent une évocation sensorielle de cet ange déchu dont la carrière en panne sèche a paradoxalement rebondi lors de la publication de cet hommage. Pour filer le frisson jusqu’au bout, un CD taillé sur mesure et composé notamment de morceaux du jazzman sert de BO à un album aux reflets bleutés.

Mauvaises fréquentations

Si les codes du polar imprègnent cette vraie-fausse biographie, ceux du jazz rythment le crescendo de Black Dog, l’autre plat du jour. Flanqué de Götting, Loustal y revisite l’âge d’or du thriller américain. Soit l’histoire assez classique d’un migrant polonais naïf obligé de se compromettre avec un mafieux et qui finira en kit au pied d’une falaise pour avoir énervé son nouvel employeur. Passe encore qu’il n’ait pas eu le cran d’exécuter la cible qu’on lui désignait, ce qui lui coûtera quand même une phalange, mais pas qu’il donne l’impression de céder aux avances de la femme oisive et nymphomane du boss. Piscine, cynisme, flic têtu, torpeur et ambiance confinée à ciel ouvert sont de la partie. La violence autant que le climat fait transpirer les pastels. Une violence à peine atténuée par cette esthétique expressionniste aux faux airs enfantins. Ici aussi la chronologie joue à cache-cache. Et soigne son esprit lynchéen en s’attardant sur des personnages hors-champ, comme ce grand chien noir.

Si Loustal ne révolutionne pas le genre, il affirme sa singularité et souligne la cohérence de sa démarche à près de 30 ans d’écart.

BARNEY ET LA NOTE BLEUE, DE LOUSTAL ET PARINGAUX, ÉDITIONS CASTERMAN, 104 PAGES. ****

BLACK DOG, DE LOUSTAL ET GÖTTING, ÉDITIONS CASTERMAN, 72 PAGES. ***

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content