Critique

No: le pouvoir de dire non

No - Gael Garcia Bernal © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | En 1988, Pinochet organise un référendum pour son maintien au pouvoir. L’opposition s’en remet à un publicitaire pour orchestrer sa campagne.

Quatrième long métrage de Pablo Larrain (lire Focus du 26 avril), No vient ponctuer avec maestria la trilogie consacrée par le réalisateur chilien à la dictature de Pinochet, entamée il y a cinq ans avec Tony Manero, avant de se poursuivre en 2010 avec Post Mortem. A l’inverse de ce dernier, funèbre, No est un film que l’on serait tenté de qualifier de lumineux. L’action débute en 1988, lorsque, quinze ans après le coup d’Etat qui l’avait porté au pouvoir, Augusto Pinochet se voit contraint, sous la pression internationale, d’organiser un référendum pour se maintenir à la tête du pays. Tout au plus une péripétie aux yeux de ses partisans, qui ne doutent pas de son futur triomphe, au prix de manoeuvres d’intimidation ou de manipulations au besoin.

Réunie sous la bannière du « Non », l’opposition s’organise cependant. Et puisque chaque camp disposera de quinze minutes de télévision quotidiennes pour exposer ses idées, elle recrute René Saavedra (Gael Garcia Bernal), un jeune publicitaire aux dents longues, pour orchestrer sa campagne. Sans conscience ni attaches politiques particulières, porté par des motivations incertaines -et notamment l’envie d’en remontrer à Lucho Guzman (Alfredo Castro), son patron au sein d’une agence de pub, qui est pour sa part de l’autre bord-, Saavedra a par contre des idées. Et plutôt que de s’appesantir sur le très lourd passif du régime Pinochet, il choisit de se tourner vers le futur, vendant un Chili aux couleurs de l’arc-en-ciel à grand renfort de spots et de slogans publicitaires fleuris. Léger? Voire: contre toute attente, le doute gagne les rangs d’un pouvoir ne sachant trop quelle attitude adopter, alors que la rue se prend à espérer…

L’euphorie lucide

Exhumant un épisode quelque peu oublié de l’Histoire, Pablo Larrain signe un film fascinant. Inscrit dans la réalité de l’époque, No l’éclaire habilement par le biais de la fiction, tout en se posant en hybride de temps et d’espace. Ainsi les nombreuses images d’archives se fondent-elles harmonieusement dans celles du tournage, le cinéaste ayant été jusqu’à sacrifier une partie du confort du spectateur à la cohérence du propos, tournant avec des caméras vidéo de l’époque, et en format 4:3 qui plus est. Dopée à l’effet vintage, l’illusion est parfaite, qui vient, le rendu VHS pourri dissipé, donner au film une saveur toute particulière. Laquelle n’exclut pas l’ironie, d’ailleurs, induite à la fois par la distance mais aussi par la personnalité même de Saavedra, héros révolutionnaire à sa façon, pur produit du néolibéralisme qui saura en utiliser les instruments contre ceux qui l’avaient initié.

Au final, No dispense un doux parfum d’euphorie, qui célèbre le triomphe de la démocratie portée par un élan populaire –« la joie arrive enfin » était l’un des slogans utilisés à l’époque. Cela, sans se départir d’une évidente lucidité: après tout, ce que le film (re)met magistralement en scène, c’est encore l’embryon des mécaniques publicitaires que sont aussi devenues les campagnes politiques d’aujourd’hui…

Drame de Pablo Larrain. Avec Gael Garcia Bernal, Alfredo Castro, Antonia Zegers. 1h57. Sortie: 01/05.

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