Stefan Liberski
Making of Tokyo Fiancée: #5 et fin
Stefan Liberski est au Japon pour le tournage de son prochain film, Tokyo Fiancée. Chaque semaine, et en exclu pour Focus, il nous raconte les dessous de l’aventure.
Le tournage de Tokyo Fiancée au Japon s’achève -et avec lui ces chroniques. Au retour, il nous restera deux semaines à tourner en Belgique. Je n’en ferai pas la chronique. Non qu’un tournage soit moins intéressant en Belgique, loin de là. Mais enfin, c’est la Belgique. On voit à peu près ce que c’est. D’abord on rêve moins de frites en Belgique. Je dis ça pour les rêveurs de frites de l’équipe (et j’avoue qu’il y en eut quelques-uns au cours de ces six semaines japonaises). Quoi qu’il en soit, la perspective de cette « seconde phase » de tournage amortit un peu le choc (bien connu des psychiatres) de la dissolution d’une équipe de cinéma. Elle n’évitera cependant pas celui de nous séparer des Japonais avec qui nous avons traversé ici monts et merveilles. Notre Matano à capuche, notre cher Katsu, Uchida-san (qui chantait du Verdi toute la journée), ou encore Fuji, l’otaku. Un type insolite, celui-là. Un soir que nous étions dans un port perdu (vraiment perdu) de l’île de Sado, il ramena le DVD (neuf) d’un film de Vincent Lannoo sur lequel Fabienne avait travaillé et dans lequel j’avais un peu joué, pour nous le faire signer. Il aimait les autographes. Surtout, je crois, celui de Fabienne. Fabienne fut notre HMC à elle toute seule. D’une main, elle maquillait et de l’autre elle coupait les cheveux, le tout en chorégraphiant des chansons idiotes. Inouï. D’autres blocs de notre périple nippon me reviennent, déjà des souvenirs. Le Yururi Bar et le couple qui le tient. Le Yururi Bar est appelé à devenir un lieu mythique. C’est à Sugamo, en face du Smile Hotel. Si jamais vous passez par Tokyo, allez-y. Entrez et dites: « Tokyo Fiancée ». Vous verrez, c’est mieux qu’un « like » sur FB. Nous nous y retrouvions tous les soirs, après-une-rude-journée-de-travail. Ce qui me revient, c’est le rire sarcastique des corbeaux. Au Japon, les corbeaux remettent les gens à leur place. Dès qu’on se la pète un peu, un corbeau passe en faisant: « Ha! Ha! Ha! Ha! » C’est très efficace. Je me souviens aussi d’Asako, mon adorable assistante japonaise, me faisant choisir un modèle de microbikini dans le métro (vêtement non destiné à mon usage personnel, je le précise -mais n’en dirai pas plus).
Je me souviens de Benoît arrivant au Japon en disant à qui voulait l’entendre que le poisson au Japon, très peu pour lui, il n’en avalerait pas une seule bouchée, la radioactivité, non merci, il ne voulait pas se mettre à luire la nuit, etc. Je l’ai vu tous les soirs accoudé au sushi du coin. Il faut dire que les sushis y étaient sublimes. Il y eut l’émotion de retrouver Nico Fransolet, venu du Québec pour diriger l’équipe B. Je me souviens enfin de cette photo d’Audrey Hepburn posée par hasard sur le comptoir d’un petit café où nous tournions. Et puis il y avait le Japon, ce Japon qui me laisse toujours aussi heureux et perplexe. Je reste ébahi par la déflagration tranquille qui s’opère ici entre le nouveau et l’ancien, l’hors norme et le conforme. Le nouveau devenant ici une force de conservation -il faut le faire! Ainsi les méga stars du marketing sont toujours Hello Kitty, Dragonball ou Pikachu, comme il y a dix ans, comme lorsque je suis venu au Japon pour la première fois. Les mangas sont passés du côté des temples, de l’ikebana et des geishas. Ils ont fait souche et font désormais partie du paysage, se mêlant on ne sait comment à cette incroyable esthétique faite de bois, de mousse, de terre, de papier, de noeuds et d’eau. Non, ce n’est pas tout à fait ça. Ce n’est jamais tout à fait ça. C’est d’ailleurs ce que m’enseigne chaque fois le Japon. Une petite leçon que je vous confie bien volontiers ici, pour finir, au bas de ces chroniques, (à entendre avec, en bruit de fond, le cri régulier d’un crapaud buffle qu’on ne voit pas): « Mieux vaut ne jamais tout à fait comprendre. » Et le rire des corbeaux, bien sûr.
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