Critique

[Le film de la semaine] The Woman Who Left de Lav Diaz, le temps retrouvé

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Une mère en quête de liberté, de justice, pour un drame sublime, Lion d’Or au Festival de Venise.

Sa place n’était pas en prison. Elle y est pourtant restée 30 ans. Quand Horacia retrouve la liberté, elle a deux choses en tête: retrouver son fils et se venger de l’homme qui l’a fait condamner à tort… On découvre le « pitch » de The Woman Who Left, on jette un coup d’oeil à sa durée (3h46), on se dit que ça pourrait faire long! Pourtant, dès les premiers plans, la magie opère. Le noir et blanc est sublime, comme une invitation au regard, que capte aussi Charo Santos-Concio dans le rôle principal. Présence digne, frêle mais résolue, à la fois quasi fantomatique et puissamment incarnée, simultanément distante et proche comme la caméra de Lav Diaz, qui ne quittera jamais sa grammaire particulière, trop souvent qualifiée de minimaliste alors qu’elle s’inscrit dans l’héritage des classiques (Ozu, Mizoguchi, Dreyer, entre autres) en opérant très simplement une dilatation du temps qui rend ce dernier palpable. Le cinéaste philippin à la longue crinière poivre et sel, également musicien et auteur de bandes dessinées, met son style immédiatement reconnaissable au service d’une recherche de beauté inquiète, d’une quête d’humanité aussi, qui porte le spectateur vers des épiphanies troublantes.

Synchronisation

[Le film de la semaine] The Woman Who Left de Lav Diaz, le temps retrouvé

Le Lion d’or vénitien de The Woman Who Left élargira-t-il l’impact d’un réalisateur prisé des cercles cinéphiles et qui a déjà sa place dans les musées (un hommage au Jeu de Paume, à Paris, notamment)? On ne peut que le souhaiter, tant l’oeuvre du natif de Mindanao compte parmi les plus fascinantes de notre temps. À presque 59 ans, Lav Diaz est au sommet de son art, et d’une maîtrise qui n’est jamais fermeture mais au contraire la condition d’une mise à nu, d’une émotion n’ayant rien d’artificiel, elle. Il faut s’aventurer dans l’univers du cinéaste de Death in the Land of Encantos (2007), Norte, the End of History (2013) et de From What Is Before (Léopard d’or à Locarno en 2014). Une fois passé le seuil, une fois synchronisé au rythme du film, on entre en immersion, on vibre à l’unisson, le temps n’est plus une durée mais une expérience, belle et gratifiante. Certains n’entreront pas, c’est sûr, et resteront sur le seuil. Le monde est si pressé, empressé, le succès fou des séries s’explique sans doute en partie par l’accord de la durée des épisodes avec la réduction du temps d’attention disponible. De quoi faire de The Woman Who Left comme une poche de résistance. Quatre petites heures arrachées à la frénésie du dehors, un grand écran pour oublier les petits, le silence arraché au fracas. Et cette lumière! Cette lumière qui naît de l’accord d’un sujet et d’un style. Avec en son coeur une héroïne que l’on n’oubliera pas.

De Lav Diaz. Avec Charo Santos-Concio, John Lloyd Cruz, Michael De Mesa. 3h46. Sortie: 13/12. ****(*)

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