[Le film de la semaine] Neruda, de Pablo Larrain: un grand film

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

(ANTI)BIOPIC | Les poèmes de Pablo Neruda avaient, l’on s’en souvient, inspiré le joli Il Postino à Michael Radford, où les vers du Prix Nobel de littérature chilien (qu’incarnait Philippe Noiret) agissaient comme un puissant élixir d’amour.

S’il s’attache lui aussi à la personnalité de l’écrivain-diplomate, la démarche de Pablo Larrain est sensiblement différente, le réalisateur de No et du récent El Club s’attelant, avec son Neruda, à un « anti-biopic », pour signer, à la rencontre du mythe, un film « nérudien » dans sa texture même.

[Le film de la semaine] Neruda, de Pablo Larrain: un grand film

L’histoire de Neruda (qu’interprète avec une gourmandise lestée de ce qu’il faut de vanité l’impeccable Luis Gnecco, déjà de No), Larrain l’envisage à compter de 1948, l’inscrivant dans le contexte trouble de la Guerre froide, alors que siégeant au Sénat dans les rangs communistes, l’auteur de Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée s’oppose avec virulence à la politique du président Videla -lequel va les condamner, lui et ses compagnons de route, à la clandestinité. Pour le poète débute une longue fuite dans laquelle il entraîne son épouse, la peintre Delia del Carril (Mercedes Moran, qui impose une présence sensuelle) et quelques fidèles. Un périple où s’invite également Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal, dans une stupéfiante composition), un inspecteur à la solde du régime, individu médiocre ne pouvant se résoudre à n’être qu’un personnage secondaire, et lancé aux trousses de l’artiste comme de la gloire et de la reconnaissance. Et le film d’opérer par va-et-vient entre le limier et sa proie, la traque ressemblant d’autant plus à une variation ludique du jeu du chat et de la souris que l’écrivain prend soin de laisser des indices à l’intention de son poursuivant; et pour cause, il y a là comme le fantasme d’une Némésis, venu nourrir la légende…

Un fascinant jeux d’ombres

S’il emprunte abondamment à l’Histoire, le Neruda de Pablo Larrain s’épanouit cependant du côté de la fiction. Un postulat affirmé dès sa prodigieuse scène d’ouverture pour être conforté ensuite à mesure que s’écrit le portrait composite de l’auteur, gloire (inter)nationale vacillant de son piédestal pour apparaître dans l’étendue de ses contradictions -menant notamment grand train à l’opposé de son engagement pour les opprimés, comme le souligne d’entrée une voix off dont l’on découvrira toutefois qu’elle appartient à Peluchonneau- mais aussi de son génie. C’est là l’originalité d’une oeuvre qui, plus qu’un film noir -auquel elle emprunte, pour partie, sa forme, comme son modèle de détective- se révèle un fascinant jeu d’ombres entraînant, au gré de sa structure en miroir, le spectateur dans un tourbillon.

Larrain fait preuve ici de sa maestria coutumière, sa mise en scène se dérobant au réalisme pour adopter une ligne incertaine, au diapason de l’auteur. S’il bouscule quelque peu l’icône, le cinéaste en salue le pouvoir de l’imaginaire comme la force des mots -et notamment ceux du Canto General, poème emblématique écrit à cette époque. Soit un portrait étonnant, où l’élan créatif et l’engagement politique ouvrent sur la mémoire collective chilienne; et une biographie subjective de haut vol, sur laquelle plane, souverain, le souffle du poète. Grand film.

De Pablo Larrain. Avec Luis Gnecco, Gael Garcia Bernal, Mercedes Moran. 1h48. Sortie: 04/01. ****(*)

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