[Critique ciné] Inkotanyi, les fantômes du passé
Un documentaire très solide et complet sur le Rwanda avant, pendant et après le génocide des Tutsis.
« Itsembabwoko« . C’est le mot désignant, pour les Rwandais, le génocide. Un million de Tutsis (et certains Hutus modérés) massacrés en une centaine de jours, entre avril et juillet 1994. Le Front patriotique rwandais -FPR- y a mis fin, là où une ONU « atone et impuissante » s’était abstenue d’agir, malgré la présence sur les lieux de nombreux Casques bleus. Ce mouvement politico-militaire est au coeur de l’excellent documentaire de Christophe Cotteret. Les soldats du FPR sont les Inkotanyi du titre, « ceux qui se battent sans jamais céder« . Leur chef, l’actuel Président du Rwanda Paul Kagame, s’exprime dans un entretien qui sert de fil rouge à un film ne se privant pas pour autant de le critiquer. Car l’approche de Cotteret, si elle ne cède en rien au révisionnisme venu de certains politiques, journalistes et magistrats français, ne relève pas un instant du manichéisme. Le réalisateur ne confond pas l’Histoire et l’hagiographie. Son expérience de documentariste, entamée au Liban dans les années 2000 puis poursuivie en 2011-2012 dans les coulisses de la révolution tunisienne, ne quitte jamais le chemin de la rigueur. Il a voulu et réussi, dans son film le plus ambitieux à ce jour, à rendre compte d’un récit collectif puissant, terrible souvent et particulièrement interpellant pour nous, Belges, tant les graines de l’horreur à venir furent plantées durant la période coloniale…
Division ethnique
Les autorités belges, appuyées par le Vatican et les missionnaires les Pères blancs, avaient décidé de jouer la carte des éleveurs tutsis plutôt que celle des agriculteurs hutus. En privilégiant une ethnie, minoritaire qui plus est, cette politique du « diviser pour mieux régner » généra beaucoup de ressentiment chez les Hutus. Et quand éclata la « Révolution sociale » de 1959, les pogroms anti-tutsis firent déjà 20.000 morts… C’est au sein de la diaspora tutsie, en Ouganda, que le FPR fut créé et formé dans la rébellion locale de Yoweri Museveni (qui deviendra Président de la République ougandaise en 1986). Inkotanyi retrace le parcours qui allait mener le mouvement vers un retour au Rwanda tantôt par la voie des armes, tantôt par celle d’accords avec le pouvoir, accords souvent trahis, jusqu’au génocide, la libération et la période de reconstruction. Christophe Cotteret multiplie les interviews, explore des documents d’archives passionnants et mène sa caméra sur les lieux d’une Histoire offrant des résonances à toute l’Afrique et bien au-delà, en fait partout où comme au Rwanda « la maladie, c’est l’utilisation des divisions ethniques à des fins politiques« . Son documentaire prend le temps d’être complet, argumenté, jamais réducteur et d’un intérêt constant. à voir et à méditer, à l’heure où la transmission d’une mémoire historique fondée menace de devenir une cause perdue.
Documentaire de Christophe Cotteret. 2h05. Sortie: 14/06. ****
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