En 2014, Molenbeek se parait de ses plus beaux atours comme capitale de la culture

Pierre-André Itin, coordinateur général de Molenbeek. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Alors que la commune est sous le feu des projecteurs depuis le 13 novembre et que s’y organisent désormais des visites pour en redorer l’image, nous ressortons des archives cet article publié à l’occasion du lancement de Molenbeek 2014, capitale de la culture, où l’on vante notamment l’effet culture sur la cité et les quartiers réputés difficiles.

Article initialement paru dans le Focus Vif du 14/02/2014.

Canal Plus

Métropole culture 2014, Molenbeek prévoit des dizaines d’activités transversales, mixant rap, danse, art moderne ou théâtre sous l’impulsion du caméléonesque Pierre-André Itin. De l’autre côté du canal, la révolution culturelle démine préjugés et pauvreté. Y a du boulot.

« J’aime les challenges un peu timbrés, la transversalité, et sur Molenbeek 2014, il faut être touche-à-tout, 360°, casser les frontières: aller sur le terrain discuter avec les rappeurs, et puis enchaîner par un meeting chez un sponsor potentiel. Au début de mon boulot, mes amis me demandaient ce que j’allais foutre là-bas, si je m’y sentais en sécurité. » La cinquantaine frisée et workaholic, Pierre-André Itin trimballe ses guêtres de Coordinateur général de Molenbeek depuis le mois de janvier 2013.

Pari audacieux puisque pour moins d’un (modeste) million d’euros fourni par diverses instances publiques -salaires compris-, il s’agit de fabriquer une année culturelle à Molenbeek-Saint-Jean. Cocotte-minute de 100.000 âmes occupant six kilomètres carrés, densité d’habitation deux fois supérieure à la norme bruxelloise. Un quart d’étrangers, 27,40% de moins de 17 ans et plus de 30% de chômeurs. Et une gestion politique où le baron socialiste Philippe Moureaux -20 ans de mayorat- est dépossédé de son trône de bourgmestre fin 2012 par la MR Françoise Schepmans. « Je mène ma barque en évitant les pressions des politiques », précise Itin, au canal et au moulin. Semaine et weekend, quitte à débarquer dans une discussion avec des jeunes du Centrum West qui ont cuisiné deux phrases un peu « chaudes » sur les flics pour la chanson-hymne officielle de Molenbeek 2014, MolemCapitale (sic). PAI doit trouver la ligne médiane entre autorité et liberté versifiée sans jouer au prof. Le gamin qui a pondu la tirade renâcle. Quand Pitcho, maître rap coordonnant l’entreprise, débarque, le mélodrame s’est presque dégonflé. La scène, vécue chaud-boulette, date d’environ quatre mois: depuis lors, la machine Molenbeek est rentrée en phase suractive. Itin: « Je suis moins directeur que coordinateur. Ou, si tu veux, entremetteur. Oui, j’admets un côté control freak parce que je veux avoir un oeil sur tout: d’ailleurs parfois, on m’appelle Madame Thatcher (sourire). »

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Venu du monde du marketing, de la culture et de l’entertainment, PAI a été quatre ans GO au Club Med et 20 ans directeur de la Ligue d’Impro: arrivé par hasard dans l’événementiel, il ne l’a jamais quitté. Le récent Viva For Life ertébéen, c’est lui qui gère, mais toujours « en électron libre, sans carte de parti ». Ce Bruxellois qui a tout juste terminé ses Humanités, ex-sportif prometteur (11.2 aux 100 mètres), avoue qu’initialement, il n’« avait pas très bien capté le déficit d’image de Molenbeek qui souffre de clichés -certains ne sont pas faux: ce projet de 2014 a aussi pour but d’amener un capital sympathie envers la commune, voir ce qu’elle a dans le coffre. Ce qui serait bien, c’est qu’on ne dise plus « de l’autre côté du canal » pour parler de Molenbeek: il faut que Bruxelles mette ses deux rives ensemble. » Sur les dizaines de projets proposés pour cette année 2014, Itin, qui doit louvoyer entre les contingences financières, veut garder « une vue hélicoptère, c’est-à-dire survoler et équilibrer ».

Idéal du Gazeau

On retrouve parfois PAI au pilotage direct. Par exemple, en ce 25 janvier où les festivités s’enclenchent officiellement avec MolenStart, soirée spectaculaire menée au parc (humide) du Karreveld, « coin chic » de Molenbeek, où un son et lumière à 70.000 euros rassemble les citoyens divers. Il est là, emmitouflé dans une casaque blanche frappée du sigle officiel de Molenbeek 2014, une éolienne mauve. La scénographie a été bossée jusqu’à six heures du mat’: « Au Club Med, je me suis rendu compte que je n’étais pas très doué pour me produire sur scène. Par contre, cela me bottait de tout entourer. Là, on a utilisé les énergies citoyennes de la commune entourées par des pros, avec l’ambition de montrer le Karreveld comme jamais auparavant. » Feu d’artifices, projections sur le vieux château du parc, défilé fruité de mannequins baroques, interlude de cordes, rap avec l’emblème MolemCapitale: le résultat peut paraître un chouïa kitsch, il a néanmoins de l’allure. Si PAI était un cheval (…), ce serait Idéal du Gazeau (1974-1998), trotteur international prompt aux longues distances: « Molenbeek 2014 est une toile d’araignée, il doit y avoir 200 associations sur sa superficie: l’un de mes rôles est d’avoir tout scanné et tout croisé. Et de leur faire remarquer qu’elles ont peut-être quelque chose en commun, à partager les unes avec les autres! » Alors, vu de l’extérieur, revitaliser Molenbeek, c’est un peu comme vider l’eau brunâtre du canal à la petite cuillère. Peut-être pas, vu que cet espace aux innombrables nationalités, de chaude réputation, borde aussi Bruxelles-Ville. Qui déborde, sue et coince sur son espace contingenté, cherchant de l’oxygène dans le voisinage.

Molenbeek, son canal
Molenbeek, son canal© Philippe Cornet

Molenbeek renaît justement depuis ce Canal de Bruxelles, a priori juste une grosse rivière grise et artificielle du début XIXe. C’est là que fonctionne depuis mai 2013 l’Hôtel Meininger, un low-cost qui fait pratiquement le plein quotidien avec plus de 700 visiteurs: le bâtiment fait partie d’un projet à 14 millions d’euros sur le site des anciennes brasseries Belle-Vue. Indice que cette commune qui cueille traditionnellement les migrations en cours peut transformer son riche passé industriel, ses usines et dépôts déclassés, en nouvelles agoras urbaines ou en entreprises qui snobent la crise. C’est aussi le long de l’eau que les habitations bobos se construisent ou s’aménagent dans de vieilles baraques reliftées. C’est là qu’un des événements majeurs de Molenbeek Métropole Culturelle prendra place, autour et sur le canal, le 26 avril. Ce bien nommé MolenCanal comme le MolenDance -également en avril- ou le MolenZik autour du 21 juin, sont des événements emblématiques de l’année 2014. Bien évidemment destinés à déborder le seul intérêt communal et à faire (re)découvrir les richesses locales, telles que la Raffinerie de Charleroi-Danses (ex-Plan K), là où à la fin des années 70, Joy Division & co redessinent le futur. Itin: « Le plus important, c’est sans doute la pérennité, c’est pour cela que l’asbl Promouvoir les cultures à Molenbeek a vocation de continuer après 2014. Si les gens se parlent, si le capital sympathie augmente ne fût-ce que d’un millimètre, si les clivages changent, si on pense Molenbeek autrement qu’en termes de pauvreté ou de criminalité, on aura déjà gagné notre pari. La réussite, c’est ce qui restera de 2014. »

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Expo collective de trois plasticiens internationaux, le Suisse Beat Streuli, l’Espagnol Emilio Lopez-Menchero et l’Américain Peter Downsbrough. Ce dernier, Molenbeekois depuis 1989, installe ses barres de métal dessinant un cadre nouveau dans le bel espace de la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale. Jusqu’au 15 mars.

Living Expo

On rentre chez les Molenbeekois par la photo mais aussi via le théâtre, les 29-30 mars ainsi que les 5-6 avril, rue Adolphe Lavallée.

MolenDance

Trois semaines de chorégraphie, notamment à la Raffinerie de Charleroi-Danses, chez Ultima Vez (compagnie de Wim Vandekeybus) et avec Bud Blumenthal, du 5 au 27 avril en divers endroits.

Ville et culture

De Lens à Bilbao en passant par le Centquatre, passage de l’effet culture sur la cité et les quartiers réputés difficiles.

« Inauguré le 4 décembre 2012, le Louvre-Lens vient de franchir le cap symbolique du million de visiteurs, ce mercredi 29 janvier 2014 vers 11h30. » Il y a quelques jours, ce communiqué officiel donnait même le prénom de l’heureuse millionnaire (symbolique): « Josiane, 67 ans, native de Lille et installée à Antibes depuis 40 ans. » Le Louvre-Lens, c’est une success story à la française, plutôt inattendue. Parce qu’implanter un Louvre bis dans la « ville la plus pauvre de France » n’était pas une affaire gagnée d’avance. Agglomération d’un demi-million de personnes dans le Pas-de-Calais, Lens est une sorte de Charleroi nordiste a priori peu équipée pour recevoir la grande culture, voire la culture tout court. Pauvreté économique, mais aussi taux extrêmement faible d’alphabétisation et de diplômés dans une zone de sols pollués par une très longue industrialisation aujourd’hui rayée de la carte. Y concevoir un parc de 20 hectares et un bâtiment ultra-contemporain dessiné par un bureau japonais -on se croirait à Brasilia- avec des collections racontant six millénaires d’art sur 7000 mètres carrés, le pari était moins fou que strictement préparé. Comme nous l’expliquait en mai dernier le directeur du lieu, Xavier Dectot: « La commande du Louvre-Lens est politique: elle veut utiliser le musée comme facteur de redynamisation d’un territoire très marqué par la grande Histoire industrielle. » Huit ans se passent néanmoins entre la décision de construire, en 2004, et l’inauguration il y a maintenant quatorze mois. L’investissement n’est pas seulement financier -à hauteur de 150 millions d’euros…- mais aussi humain. Dectot: « Beaucoup de Lensois étaient persuadés que le Louvre était destiné aux Parisiens ou aux habitants de Lille qui n’est qu’à 40 kilomètres, ou alors pensaient que c’était réservé à la génération suivante. On a donc travaillé en profondeur la population locale, en installant une Maison des Projets sur le terrain du futur musée et en envoyant des médiateurs partout, dans les bars comme dans les écoles, expliquer le sens de ce que nous faisions. Les gens pensaient également que l’effet économique serait similaire à l’installation du Guggenheim à Bilbao: ils allaient être rapidement plus prospères qu’au Lichtenstein (sourire). »

Louvre-Lens
Louvre-Lens© Philippe Cornet

Le Guggenheim de Bilbao, inauguré en 1997, conçu par l’architecte-star Gehry -et ses célèbres corolles psychédéliques- est de fait un succès: un peu plus d’un million de visiteurs par an, dans une ville du Pays Basque espagnol peu attractive -on le sait, on y a passé une sinistre soirée au début des années 90. Le Guggenheim s’inscrit dans un plan de revitalisation urbaine démarré en 1989, Bilbao Ria 2000, chiffré à 735 millions d’euros, dont un dixième environ pour le seul fameux musée. Retour sur investissement: ce dernier aurait contribué à créer plus de 4500 emplois dans la région. Mais face à ces mammouths culturels, Louvre ou Guggenheim, qu’en est-il des plus modestes? On peut citer le CentQuatre, un établissement culturel ouvert en 2008 dans un quartier nord peu favorisé de Paris: des anciennes Pompes Funèbres d’une surface exploitable de 25.000 mètres carrés, impressionnante par son vaste hall central sous verrière. Là aussi, l’exploitation artistique qui pourrait être celle d’un Beaubourg bis intègre les habitants d’un quartier -Aubervilliers- longtemps en déshérence, mais également des commerces, des logements, des espaces de travail. Mais la mixité n’est jamais gagnée: malgré l’investissement de départ -100 millions quand même…- et une rente annuelle de 12 millions, les deux premières années furent jugées « catastrophiques » et les fruits actuels sont toujours lents à mûrir. En contemplant les sommes pharaoniques allouées à ces projets étrangers, on mesure aussi la modestie financière de Molenbeek 2014 -un million d’euros: c’est apparemment encore trop cher puisque les autorités concernées, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Cocof, ont décidé après trois métropoles (Liège 2010, La Louvière 2012, Molenbeek 2014) de jeter l’éponge. Ambitieuse Belgique…

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