Youssou N’ Dour le magnifique

© Epa

Avant son concert bruxellois, descente au coeur du Sénégal, à la rencontre de Youssou N’ Dour, star globale de la nouvelle Afrique qui trône sur un empire médiatique tout en incarnant la fièvre du samedi soir, version m’balax.

EN CONCERT LE 8 MARS AU BOZAR À BRUXELLES AVEC NEW AFRICAN VOICES

Youssou descend de la scène et provoque d’emblée le genre de sourires chavirés chez les femmes qui semblent y voir le fantôme de Dieu. Scène habituelle du samedi soir au club de monsieur N’Dour, le Thiossane, « retour aux sources » en langue wolof. Repérable sur le boulevard de la Gueule Tapée ( sic) à cause de son carnaval de néons multicolores qui éclairent la poussière trouée du bitume dakarois. A l’intérieur, l’écrin rouge avec tables et chaises accueille une soirée particulière, avant la prestation usuelle de Youssou planifiée sur le coup de 2 heures du matin. A la fin d’une semaine dakaroise de Forum social mondial, Youssou N’Dour a réservé une réception pas loin d’être somptuaire à ses partenaires de Millennium Promise , ONG US qui construit des villages modèles. C’est la rencontre de 2 mondes: une afro-star polyglotte, mondialisée il y a près d’un quart de siècle par Peter Gabriel, engagée sur de multiples fronts (paludisme, micro-crédit, médias) et cette cohorte d’Américains à l’allure de prosélytes mormons avec beaucoup de dents pour sourire. Après un zakouski de préchi-préchas caritatifs, Youssou, entouré de son groupe, fait peu à peu monter l’infernale pression de la chaudière m’balax -prononcez  » mbalharr »-, rythme sénégalais basé sur le taba et le sabar, percussions ancestrales qui ont la science du placement kung-fu. Le beat molesté supplie dans les enceintes alors que Youssou s’envole dans ses notes de ténor, colibri insensé.  » Quand j’ai commencé, on se moquait du retour de ce folk et on ne comprenait pas ce que je pourrais en faire, on voulait me caler à la case griot (caste de la famille de sa mère, ndlr) , les chanteurs qui racontaient la grandeur des empires disparus », explique-t-il le lendemain. A un moment, Youssou reprend le Redemption Song de Marley de façon mimétique, avant d’injecter l’insidieux m’balax, reggae tendance accélérée, brûlant tous les feux rouges des sensations corporelles. Alors que les bars du Thiossane débitent un Niagara de cocktails et sushis, le chef des Ricains, genre pasteur en civil, vient se déhancher en scène sur le turbo nègre dans un style néo-indigène qui intéresserait certainement les ethnologues africains. Le plus fascinant est ailleurs: dans les manières quasi transformistes de Youssou, évoquant tour à tour Otis Redding (la transpiration émotive), Pelé (la perfection de la trajectoire sonore) et Mobutu Sese Seko (les lunettes de chef incontesté). Après 1 heure 30 où le volume n’a cessé de grimper au diapason du rythme, Youssou termine en souplesse, le dos aussi mouillé que les yeux des spectateurs US. Il doit en garder sous le larynx pour le set suivant, dans la nuit avancée, où les Dakaroises chic et leurs mecs en costard se laisseront aller à leurs propres rêves humides.

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Baobab meeting

Le lendemain en fin d’après-midi, dans le taxi filant vers les Almadies, quartier chic de Dakar, on se repasse le film mental des 4 ou 5 rencontres avec Youssou N’Dour depuis la fin des années 80. Réservé, talentueux, caméléon adaptant ses racines sans les trahir, co-auteur du tube mondial Seven Seconds avec Neneh Cherry en 1994, musulman pratiquant, rescapé d’une world music dont le destin semble aujourd’hui indécis. Menant une vie plutôt privée avec sa seconde épouse, franco-sénégalaise, de 18 ans sa cadette. Plus que tout, il incarne un chanteur à l’intensité miraculeuse, digne d’un Jeff Buckley ou d’un Nusrat Fateh Ali Khan et, à 51 ans, s’impose comme personnalité atypique de la scène des décideurs en Afrique de l’ouest. A tel point qu’on soupèse sa candidature aux présidentielles sénégalaises de 2012, projet qu’il dément. A tel point que depuis Fela, militant d’un panafricanisme virulent ( lire encadré), Youssou est le premier musicien du continent noir à accorder une telle importance aux droits civiques. Première règle: Youssou sait s’entourer. A l’international, il est managé depuis un an environ par Doudou Saar, 47 ans, Sénégalais basé à Londres,  » vieil ami de la famille, Youssou est comme un grand frère ». Interprète de formation, Doudou s’est trouvé naturellement dans la ligne planétaire du chanteur mirifique, sans doute parce qu’il connaît les 2 marchés, le tempo occidental et l’africain. Ce dimanche soir, son 4×4 nous emmène à la Villa Océane, maison confortable mais sans luxe tapageur. Il est un peu passé 18 heures et il est capital que Youssou ait une chance de voir le match de la soirée. C’est peu dire que le père de 7 enfants, interprète de l’hymne officiel de la World Cup 98 avec Axelle Red , est fan de foot . Au pied d’un baobab qui domine le jardin pelé de sécheresse, Youssou, revêtu d’une couverture -il fait 18 degrés, équivalent africain de la banquise-, est prêt à remonter le cours de son fleuve CV.

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L’empire des sons

Une demi-heure avant la discussion, un premier rendez-vous, annulé, nous avait conduit dans les bâtiments flambants neufs de RFM, la télévision de Youssou inaugurée en septembre 2010, après la création d’un quotidien, premier au Sénégal ( L’Observateur, tiré à 66 000 exemplaires) et d’une radio RFM, tout aussi populaire.  » Avoir la licence télé a été un combat. Visiblement, le monde politique et celui des affaires craignaient que je ne mobilise trop de pouvoir médiatique, en plus de mon statut de chanteur populaire. J’ai défendu mon dossier sur sa qualité et les professionnels qui m’entourent, et sur les spectacles donnés dans ce pays, dont le concert de 1997 devant 100 000 personnes. Sans oublier le grand Bal de Bercy à Paris depuis 2000, complet chaque année. » Au Sénégal, les notions de droite et de gauche s’effacent au profit de l' »engagement citoyen »:  » Cela veut dire demander aux gens de s’inscrire sur les listes électorales et ne pas accepter l’argent qu’on offre pour influencer les votes: je ne me mets pas dans la politique politicienne. » Youssou naît en 1959 -année précédant l’indépendance de son pays- et grandit dans une société francophile, où l' » élite, celle qui vit dans des grandes villas, ici-même aux Almadies (sourire) semble détachée de la réalité. Dans les années 80-90, les choses bougent, le pouvoir économique passe aux commerçants, aux Mourides: quand on détient un pouvoir économique, on détient une voix. » N’Dour cite volontiers les Mourides, confrérie musulmane fondée au début du XXe siècle par un personnage qui prend une importance capitale au Sénégal, cheikh Ahmadou Bamba. Son Islam s’attache aux valeurs du soufisme et prône le travail comme la valeur de la science: Youssou est un Mouride. « Je suis croyant parce que j’ai la foi, je comprends parfaitement la personne qui est le vendredi à la mosquée puis le samedi en boîte de nuit. Ici, au Sénégal, la religion musulmane ne correspond pas du tout à ce que l’on peut parfois voir ailleurs. On vit dans un pays laïque où 95 % des gens sont musulmans, et cela se passe bien.  » Au début des années 2000, Youssou N’Dour enregistre l’album qui deviendra en 2004 Egypt, titré ainsi pour le marché occidental à cause de l’implication d’un ensemble orchestral du Caire. Baptisé Sant Allah (« Merci à Dieu ») au Sénégal, il est intégralement dédié aux personnages clés de la confrérie des Mourides et aux grands marabouts. S’il décroche un Grammy Award aux Etats-Unis, à domicile, Youssou doit affronter la critique des opposants à toute interprétation non-stricte de l’Islam. Dans le beau documentaire Youssou N’Dour: I Bring What I Love de l’Américaine Elizabeth Chai Vasarhelyi, sorti en 2008, on découvre le backlash qui frappe un Youssou visiblement surpris par les ondes négatives.  » Cela fait partie d’une crise de croissance: quand on touche à la religion, à certaines sonorités, ce genre de réactions arrive. Il fallait sans doute en passer par là(au Sénégal, le disque a fini par être un succès, ndlr) et aujourd’hui, quand je regarde la télé, cela me fait plaisir de voir des chanteurs religieux faire des clips et des concerts. Et je sais que c’est parti de moi… Cela a été une polémique, mais je n’ai jamais eu peur que cela bascule, parce que c’était un album sincère. »

Miroir du Sénégal

L’entrée du club de Youssou expose des peintures de grands leaders noirs: Marley, Mandela et… Youssou.  » Mandela est l’ultime référence africaine, c’est comme un papa (sic ), il me renforce dans mes capacités d’incarner le leadership à partir de chez moi. Je n’ai pas un aussi grand combat à mener que lui, mais son exemple m’inspire: respect de la parole, des institutions, de la vérité au vrai sens du mot, de la bonne gouvernance. » En 1988, Youssou est la vedette africaine de la tournée Human Rights Now d’Amnesty International, aux côtés de Bruce Springsteen, Sting ou de son ami Peter Gabriel:  » Cela m’a donné confiance en moi, j’ai rencontré énormément de victimes des Droits de l’Homme. Après 8 semaines d’échanges, je me suis senti en position de me proclamer défenseur des jeunes Africains pour les Droits de l’Homme… Avec la musique, on prend des raccourcis. La rencontre avec Peter Gabriel a été importante, il a été très à l’écoute. » Pratiquement un quart de siècle plus tard, Youssou multiplie les actions socio-politiques, est « ambassadeur de bonne volonté  » de l’UNICEF et homme d’affaires multiples. En 2007, il était élu par Time parmi les 100 personnes les plus influentes dans le monde… « Mon travail, c’est d’être le miroir du Sénégal, d’interpréter la vision d’un poète et de l’amener près du peuple. Je suis convaincu que l’Afrique est le futur, il s’agit que les Africains prennent les devants. J’essaie de faire comprendre qu’il y a des gens pouvant être considérés comme des exemples, des femmes extraordinaires, comme la Kenyane qui a gagné le Prix Nobel de la Paix (Wangari Maathai, en 2004, ndlr) . Les 2 tiers des Africains ont moins de 25 ans: ces dernières années, je me suis retourné et me suis aperçu qu’il y avait des jeunes avec énormément de talent musical. A leur âge, je n’osais pas regarder la caméra, j’étais très timide. Donc, je vais venir en concert à Bruxelles avec 2 exemples de la nouvelle génération: mon compatriote Carlou D et la Kenyane Suzanna Owiyo. Avec l’idée de partager un peu de la lumière que j’ai reçue en débutant…  »

Philippe Cornet. A Dakar

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