Produit par Mirwais, le projet Y.A.S. et son Arabology électro kidnappent l’interprétation sensuelle de la Libanaise Yasmine Hamdan. Sur fond de beats bioniques, celle-ci chante une modernité arabe inédite, nourrie des vertiges d’une époque dérangée et électrique.

Dans le parfait clip Get It Right de Stéphane Sednaoui , Yasmine, dans sa combinaison de cuir et insolente, enfourche une moto pour traverser le bitume brûlant du Caire, pyramide congestionnée de 17 millions d’habitants. Dans la plus grande ville arabe, peuplée de chanteuses bombastiques aux gros seins refaits sous fausse blondeur, la Princesse aux yeux charbons propose l’électro revampée façon Mirwais. Par son ancrage à la fois poétique et réaliste, Arabology est un album contemporain et foncièrement unique. Il exprime la rencontre de deux univers: celui de Mirwais Ahmadzaï, 49 ans, italo-afghan ayant grandi en France, révélé au sein de Taxi Girl et, plus récemment, célébré pour sa production de Madonna (1). Et Yasmine, 33 ans, passée par le Conservatoire de Beyrouth, le luth, le chant classique, l’opéra et la guerre civile libanaise (1975-1990). Un moment convaincue que  » pour se projeter dans un futur, (elle) devait chanter en arabe et refuser l’exotisme », elle forme donc Soap Kills en 1997, duo électro-beyrouthin pionnier, surprenant de rafraîchissement pop. Mais le Liban n’est pas assez grand et elle part s’installer à Paris il y a 8 ans. Elle y partage sa vie avec le cinéaste palestinien Elia Suleiman.

Yasmine: Ce n’est pas parce que je suis arabe que je vais ramener une derbouka ou bouger des hanches, même si j’aime les musiques arabes. Il n’a jamais été question d’exotisme ou de fusion: ce disque est le résultat de la confrontation de nos deux univers à Mirwais et moi et j’ai dû faire un exercice d’assouplissement pour ramener vers moi ce qu’il me proposait… C’est un positionnement radical par rapport à ce qui se fait en arabe. Ce qui nous excitait, c’était de travailler sur un projet à plusieurs couches, de le kidnapper et de le faire vivre autrement que dans les stéréotypes arabes.

Mis à part son talent artistique que je respecte énormément, Mirwais a aussi le désir d’établir un lien avec les  » sous-cultures, les sous-mondes« . Mirwais rêve de donner un côté plus politique à sa musique, plus expérimental.

Quelles sont tes sources d’inspiration?

Le monde arabe traverse une période difficile et je m’en inspire. Souvent, la langue fait frontière et cela veut dire que le projet a besoin de temps pour s’imposer. Beaucoup de choses – négatives – se sont cristallisées autour de l’identité arabe, culturelle et politique. Donc ce projet en tire sa richesse mais comme il est en arabe, il demande de nouveaux moyens pour passer les checkpoints. Je puise beaucoup dans l’humour, l’ironie, la littérature arabes, et ce qui me stimule, c’est d’aller vers les alternatives. Par exemple, à Beyrouth, les CocoRosie m’ont offert de collaborer avec elles.

Explique-moi l’humour arabe! Par exemple, quand tu chantes quelque chose comme  » Casse-toi la gueule, espèce de gland chauve »?

(elle rit) Dans la chanson arabe, il y a beaucoup d’humour, froid, coquin, et cela nourrit mon travail! La musique de Y.A.S. use de différentes couches et fait constamment des allusions. Dans Yaspop, je dis  » Il y a un Américain dans mon jardin » et c’est vrai (elle rit). Je me suis rappelée cette comptine que je chantais, petite,  » Il y a une mouche dans mon slip ». Dans la chanson, c’est devenu un dialogue absurde entre deux personnes:  » Il y a un Afghan dans mon slip et il y a un Italien dans mon soutien-gorge ». C’est la globalisation du monde! Le disque a été interdit au Koweit pour cause de  » vulgarité », ce qui est hallucinant quand on voit la quantité de chanteuses complètement refaites qui se déhanchent là-bas! L’album est sorti à Abou Dabi et à Bahrein et même en Arabie Saoudite…

La religion musulmane semble être dans un passage extrême qui s’exprime parfois à la manière des catholiques pendant l’Inquisition!

Oui. Sans qu’il y ait un message au premier degré dans ma musique, j’essaie de stimuler les gens, de les rendre curieux et d’une certaine façon, je ne pourrais jamais faire un travail apolitique. Ceci dit, je suis laïque mais ce qui me gêne, dès qu’on sait que je suis libanaise, musulmane, c’est qu’on projette des choses sur moi…

Tu es née en 1976, en pleine guerre du Liban…

Oui, le 27 mars 1976. Je suis musulmane chiite, poilue, barbue (rires), mon père est ingénieur et j’ai passé mon enfance entre le Liban, les pays du Golfe et la Grèce, sans linéarité. Maintenant, je ne me sens pas forcément chez moi à Beyrouth, je me sens un peu chez moi ici, à Paris, un peu chez moi ailleurs. Et c’est parfois aliénant…

Comment se porte le Liban aujourd’hui?

Il y a une énergie folle au Liban, un truc de survie, quand j’y suis, je suis dans un état de fébrilité et d’éveil incroyables. La notion du danger est toujours là. Ce qui m’exaspère, c’est le confessionnalisme, les religions. On est revenu au point de départ d’il y a quelques années: les mêmes personnes qui ont fait la guerre sont de retour au pouvoir. Il n’y a pas eu de deuil, de réelle rupture, par rapport à la guerre. Il y a eu du déni, une amnésie, un désir que tout aille bien, et je pense que c’est dangereux. Je ne sais pas comment les gens font pour vivre là-bas parce que régulièrement, la vie s’arrête. Et cela me concerne parce que le Liban est mon cordon ombilical, tous les gens que j’aime y sont… Cela me désillusionne et cela me demande aussi de dépasser tout cela.

(1) Mirwais a largement collaboré avec Madonna – production et composition –

sur Music (2000) et American Life (2003), de façon plus marginale sur Confessions On A Dance Floor (2005).

voir aussi le portrait de rachid taha en page 44

Rencontre Philippe Cornet, à Paris.

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