Johan Grimonprez signe Double Take, un documentaire excitant d’intelligence, avec Alfred Hitchcock pour guide d’une lecture critique de nos rapports aux médias audiovisuels.

Vérités ou mensonges? A l’heure où les médias audiovisuels (dont singulièrement Internet) déversent sur nous un flot continu d’images où démêler le vrai du faux est chose de moins en moins aisée, un essai filmé de belle facture et de propos pertinent vient titiller notre curiosité. Double Take est l’£uvre d’un intellectuel et cinéaste belge, Johan Grimonprez, natif de Roulers mais que son brillant parcours a mené vers des postes d’enseignant à Paris et New York. Attaché aux questions de rapports entre réel et fiction, il est l’auteur de plusieurs films et vidéos dont le singulier Dial H-I-S-T-O-R-Y (1997) et Looking For Alfred (2005) où se manifestait déjà son intérêt pour Hitchcock. Avec Double Take, et à partir d’un récit écrit par Tom McCarthy, Grimonprez imagine un rendez-vous du cher Alfred avec son double, et nous replonge dans ce début d’années 60 où Hitch tournait The Birds tout en dynamitant le petit écran avec sa série Alfred Hitchcock Presents. Le tout sur fond de guerre froide, de course à l’espace, et de déferlement publicitaire à la télévision.

 » Un des sujets principaux du film est l’industrie de la peur, très productive bien sûr à l’époque de la guerre froide mais qui est de nouveau à l’£uvre aujourd’hui, surtout depuis les attentats du 11 septembre: rien n’a changé, tout se joue désormais sur un canevas plus large…« , explique le réalisateur, appuyant sa thèse d’une allusion au  » mensonge criant sur les armes de destruction massives agité pour justifier l’intervention en Irak. » Si Alfred Hitchcock se retrouve au centre d’un film où apparaissent aussi notamment John Kennedy, Richard Nixon et Nikita Khrouchtchev, c’est parce qu’il fut le maître du thriller, de la manipulation par l’angoisse du spectateur, mais aussi  » parce qu’Hitchcock est identifié au cinéma, qu’il a connu depuis l’époque du muet tout en mesurant ensuite l’importance cruciale du nouveau medium qu’était la télévision, cette dernière s’affichant comme un double du cinéma. » Johan Grimonprez ajoutant qu’au fond,  » Hitchcock, avec ses cameos dans ses propres films, avec ses présentations télé, annonce indirectement l’avènement du clonage médiatique dont YouTube et la génération digitale témoignent abondamment aujourd’hui… »

Voyage immobile

Double Take commence par un rappel de l’anecdote fameuse du MacGuffin, élément moteur d’une intrigue qui repose sur le mystère de cet objet… qui n’existe probablement pas! Il éveille ainsi notre regard à  » une critique active » des images qui vont se succéder, qu’elles soient de nature artistique, politique ou commerciale. Le voyage immobile auquel nous convie Grimonprez interpelle ainsi autant qu’il captive.

 » Nous y découvrons une culture de la catastrophe, avec la fiction de The Birds (mais nourrie d’une peur bien réelle) mais aussi, la même année 1963, la crise de missiles russes à Cuba, l’assassinat de Kennedy, l’invasion du ciel par des satellites qui vont permettre à la télévision d’envahir chaque foyer… » Cette culture dont les medias s’abreuvent encore en 2010 se voit recadrée, interrogée, avec autant d’intelligence que d’humour, dans un film auquel Alfred Hitchcock n’aurait pas manqué, sans doute, de faire bon accueil.

Texte Louis Danvers

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