Coldplay is back. Avec quelles intentions? Pour le savoir, nous avons retrouvé le groupe au fin fond de Londres, dans la Bakery où ils ont enfanté leur dernier album Viva La Vida. Du tout cuit?

The Bakery, une ancienne boulangerie perdue quelque part dans le nord de Londres, entre Camden et Primrose Hill. On n’y fait plus rien depuis des années. En tout cas plus de pain. C’est pourtant là qu’a choisi de s’installer Coldplay pour préparer son come-back, un des plus médiatiques de l’année. Nous y attendent Chris Martin, le chanteur, et Jonny Buckland, le guitariste. Le bassiste Guy Berryman et le batteur Will Champion vaquent à d’autres occupations. Les murs chaulés confèrent à l’endroit une ambiance de refuge, un lieu pour créer et faire le point avant que les rouages du groupe londonien ne se remettent irrésistiblement en marche.  » Je passais devant l’immeuble chaque jour et je le trouvais affreux, raconte Chris Martin. Lorsque les propriétaires y ont placardé l’affiche à vendre, je me suis dit que l’endroit était tellement laid que personne ne viendrait nous y déranger. » Jonny Buckland aime aussi la nouvelle base du groupe:  » Depuis que nous avons répété dans ma chambre d’étudiant en 1999, c’est la première fois que nous avons un véritable chez nous, rayonne-t-il . Cela a fait une sérieuse différence. »

TOUR DU PROPRIéTAIRE

Au premier étage, le studio abrite tout l’équipement du groupe. En son centre, une table autour de laquelle s’affairent les techniciens. Une grande peinture de la Terre vue de l’espace recouvre le plus long des quatre murs. Rouges, les autres parois arborent des slogans et griffonnages peints en noir – l’un dit Viva La Vida -, tandis que les autres murs exhibent des bandes dessinées du groupe ou de l’équipe.  » C’est moi qui les ai peintes« , lance fièrement Chris Martin en invitant à découvrir d’autres parties de sa nouvelle acquisition. Comme dans tout studio d’enregistrement, la salle de contrôle se découvre à travers la vitre. Mais ici, le moindre cm2 de mur est couvert d’images d’icônes de la culture pop, découpées dans des magazines. PJ Harvey y figure, de même que les Stones.  » Et A-Ha, dit Chris Martin en riant. Nous adorons A-Ha. » Le célèbre portrait des Beatles par Astrid Kirchherr – cinq gars vêtus de cuir faisant les clowns autour d’un camion à Hambourg – est suspendu au sommet de l’escalier qui mène à une pièce au-dessus du studio: une sorte de bureau. Sur les étagères sont rangés des livres divers, des récits de Sherlock Holmes à l’Histoire du combat naval moderne.

Nous parlons de nos disques préférés du moment et j’apprends que Chris veut voir Gallows mais est « terrifié » de le faire; il « finit » par citer Amy Winehouse, REM à ses débuts et Yeasayer qu’il considère comme le groupe à suivre. Il parle de sa femme, l’actrice américaine Gwyneth Paltrow, qui a du mal à comprendre la vitesse à laquelle la scène musicale britannique évolue, tandis que les deux membres du groupe expriment leur « totale admiration » pour Muse, le groupe qui les avait emmenés dans leur toute première tournée.

VIVA LA VIDA

Nous avons été invité à The Bakery pour découvrir le prochain – et quatrième – album de Coldplay, Viva La Vida Or Death And All His Friends, et en discuter. EMI nous avait promis une brève séance de 20 minutes au cours de laquelle Chris Martin et Jonny Buckland nous baladeraient à travers le disque, piste après piste. Le label, qui vit des temps difficiles, entoure en effet cette sortie de moult précautions afin de ne pas déplumer la poule aux £ufs d’or. Sur insistance de Chris Martin lui-même, nous avons eu droit à deux heures de plus. Il nous a même proposé d’en graver une copie peu après notre arrivée à The Bakery. Du pain bénit.  » C’est nul de ne pouvoir écouter un disque qu’une seule fois, dans un bureau, soupire-t-il. Moi-même, la première fois que j’ai entendu OK Computer, j’ai trouvé que c’était mauvais. »

En tout état de cause, le disque soulève une flopée de questions. Tout d’abord, Coldplay n’a plus rien sorti depuis 2005 et le paysage musical dans lequel arrive Viva La Vida est complètement différent de celui dans lequel le groupe londonien régnait tout-puissant à l’époque. Ensuite, des retards ont compromis la sortie pour ce mois de juin.  » Nous avons passé énormément de temps dans le studio, précise Chris Martin. Finalement, nous avons enregistré pratiquement tout en 20 minutes. » Mais cela n’explique toujours pas pourquoi il a déclaré à GQ en mars 2007  » qu’ils travailleraient avec Timbaland« , une collaboration qui ne s’est jamais concrétisée. Ni pourquoi le groupe avait annoncé en octobre dernier sur son site Internet qu’il avait terminé deux nouvelles chansons – Famous Old Painters et Glass Of Water – qui n’ont finalement pas franchi le cap de la compression finale. Enfin, il y a le fait qu’avec du recul, ils ont décidé qu’ils ne tenaient pas beaucoup à leur dernière £uvre X & Y. Un flou artistique qui amène à se demander à quoi ressemble Coldplay en 2008?

« Il faut dire honnêtement que ce disque [X&Y] a été… problématique » ajoute Buckland. Quand je lui dis que j’estime qu’il contient certains des meilleurs morceaux du groupe mais qu’il est peut-être « un peu mou », J. Buckland rit. « Vous voulez dire les dernières chansons? Ouais, c’est aussi ce nous pensons aujourd’hui. »

MULTI FACETTES

 » J’ai le sentiment qu’à présent, nous avons tout à prouver et à tout le monde, enchaîne Chris Martin. C’est une époque intéressante. Personne ne vend de disques, tout le monde est très défaitiste et pessimiste… D’une certaine manière, cela nous permet de nous sentir tout à fait libres.  » Chris Martin est ce que les psychologues décrivent comme une personnalité à facettes multiples, passant de l’assurance d’un vétéran à la vulnérabilité d’un débutant. Il est gentil et souvent charmant, mais il peut aussi s’emporter ou se montrer évasif à propos des nouvelles chansons, voire enclin à prendre la tangente et de temps en temps, il débite même d’insupportables absurdités.  » Chaque chanson est une tentative de notre part de créer une couleur différente, dit-il. Peu importe que le disque soit bon ou mauvais, ce qui compte, c’est qu’il soit coloré. Les chansons sont supposées être des arômes, des choses que nous n’avons pas goûtées auparavant. » Nous lui faisons remarquer qu’il parle comme un hippie. Il sourit, prenant notre affront pour un compliment. Toutefois, la principale facette du make-up psychologique de Chris Martin reste sa foi inébranlable. Il appartient à cette catégorie de gens qui traversent la vie en faisant étalage de leurs sentiments. Sans crainte de les voir dégouliner…

 » Sur le disque, il y a une phrase qui dit: Précisément parce que je perds / Cela ne signifie pas que je suis perdu. Cela veut dire que quels que soient les malheurs dont vous êtes victime, vous devez poursuivre votre chemin. C’est ma devise. » C’est peut-être la devise du chanteur du groupe mais c’est presque aussi devenu un modus operandi pour le groupe lui-même. Déconcertés par X & Y, un disque dans lequel ils avaient cessé de croire et qui s’est pourtant incroyablement vendu, les musiciens de Coldplay ont dû redécouvrir la raison de leur existence. Dans Viva La Vida…, ils ont pris le parti de croire en eux-mêmes.  » Nous avons décidé que le moment était venu de mettre en avant ce que le groupe pouvait faire pour progresser« , avance Chris Martin.

REMISE EN FORME

Ils ont été aidés dans cette opération par leurs producteurs. Dès le départ, le groupe a été rejoint par Brian Eno, le maestro de Roxy Music, et par Markus Dravs.  » C’est Brian qui a eu l’idée de travailler avec nous, précise Chris Martin. Je le rencontrais pour prendre le thé et jouer sur des tablas. Puis, Markus est venu via Win de Arcade Fire après avoir travaillé surleur albumNeon Bible. »  » Il nous a fait travailler comme des bêtes, opine Jonny Buckland. Markus nous a forcés à tout changer dans notre façon de travailler et à voir ensuite où cela allait nous mener. »

Et en se référant à l’allégorie de « couleurs et de saveurs » utilisée par Chris Martin, on peut dire que Viva La Vida… est certainement l’offre la plus variée de Coldplay à ce jour. Le disque débute avec Life in Technicolor, un instrumental enjoué et inondé de tabla. Dans la deuxième chanson au rythme titubant, Cemeteries of London, le groupe se pose sur le territoire le plus sombre que leurs âmes éternellement optimistes n’aient jamais abordé.

D’autres moments de choix incluent un morceau fanfaronnant et flou comme Viva La Vida, qui voit Chris Martin abandonner son style de fausset habituel. Ou Yes qui résonne comme une des chansons de protestation typiquement anglaises que Billy Bragg écrivait, simplement remaniée avec le budget d’un groupe rock multimillionnaire.

Ensuite, selon votre baromètre de cynisme interne, Lost! est soit la chanson qui servira jusqu’à la fin des temps de bande-son pour les spots télévisés à but caritatif montrant des enfants africains chassant les mouches de leurs yeux, soit le moment le plus optimiste, le plus joyeux, le plus spirituel que Coldplay ait enregistré à ce jour. Ils ont aussi réfléchi à la présentation. Passez aux morceaux 5 ( Lovers In Japan/Reign Of Love) et 6 ( Yes/Chinese Sleep Chant) et vous constaterez que deux chansons partagent le même track  » de sorte que c’est moins cher sur iTunes, explique Chris Martin. Deux chansons pour le prix d’une seule. Comme je l’ai déjà dit, plus personne n’achète encore des albums, certainement pas des albums complets. Or nous avons fait un album que vous devez avoir du début à la fin. Je ne veux pas avoir l’air prétentieux mais le disque est supposé opérer comme un film: il faut l’écouter du début jusqu’à la fin« .

Quelque part dans le nord de Londres, il y a une boulangerie. Depuis des années, elle ne sert plus. Pourtant, à mesure que Coldplay s’efforce de se réinventer, la pâte commence à nouveau à lever…

TEXTE JAMES MCMAHON/NME/IPC+ SYNDICATION

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