Visa pour l’image : le regard du photographe belge Stephan Vanfleteren sur le Festival de Cannes

Le photographe Stephan Vanfleteren, le 5 juin 2014. © Virginie Lefour / BELGA

La 30e édition de Visa pour l’image, le Festival international du photojournalisme, expose pour la première fois le photographe belge Stephan Vanfleteren. Pendant trois ans, il a réalisé des portraits d’acteurs au Festival de Cannes pour le quotidien français Le Monde. Une expérience qu’il raconte pour Focus.

Si vous ne connaissez pas Stephan Vanfleteren, il est fort probable que vous soyez déjà tombé sur ses portraits des Diables rouges, réalisés en noir et blanc. Pourtant, le photographe a une expérience inébranlable, particulièrement dans le photojournalisme. En témoignent ces nombreuses années passées au service du quotidien néerlandophone De Morgen ou encore ses nombreuses récompenses. Lorsque le quotidien français Le Monde cherche un oeil neuf pour immortaliser le Festival de Cannes, Jean-François Leroy, tête pensante de Visa pour l’image, conseille sans hésitation Stephan. C’est peut-être ici que tout démarre…

Spike Lee, le 16 mai 2018
Spike Lee, le 16 mai 2018© Stephan Vanfleteren

Vos trois séries de photos sur les dernières éditions du Festival de Cannes ont été choisies pour la trentième édition du Festival international du photojournalisme. Est-ce une surprise pour vous?

Non, car nous avions déjà parlé à plusieurs reprises avec Jean François Leroy. On m’a demandé de le faire l’an dernier mais j’estimais que deux années au Festival de Cannes n’étaient pas suffisantes. Pour réaliser une exposition comme celle-ci, j’avais besoin d’une troisième année pour avoir plus de photos et ainsi, réaliser une sélection.

Dans votre travail journalistique, il y a « Belgicum » ou « People Of Mercy ». Auriez-vous souhaité plutôt une mise en lumière de ces derniers?

Je suis plutôt étonné car les photos sont des portraits capturés lors du Festival de Cannes. C’est chic et bling-bling. Les acteurs et les actrices, c’est un autre monde comparé aux oeuvres exposées lors du Festival international de photojournalisme. On y voit plutôt des conflits ou encore, les problèmes des réfugiés. Jean-François Leroy choisit rarement des portraits pour cet évènement. Mais je pense d’une certaine manière que les portraits révèlent une certaine manière de regarder le monde.

Vos séries de photos relèvent d’une solide collaboration avec le quotidien français Le Monde. Quels ont été leurs arguments pour vous choisir?

Je ne sais pas. C’est une question qu’il faut leur poser. Je sais juste que Jean-François m’a raconté une conversation qu’il a eue avec le responsable des photos pour le journal. Ce dernier lui demandait un conseil sur le choix d’un photographe pour le Festival de Cannes. Jean-François m’a vivement recommandé. Ils m’ont appelé et j’ai accepté tout de suite. La première année s’est vraiment bien déroulée. Notre collaboration a continué. Ce qui est rare car d’habitude, Le Monde choisit chaque année un autre photographe.

Juliette Binoche en 2017
Juliette Binoche en 2017© Stephan Vanfleteren

Comment avez-vous vécu votre expérience cannoise?

C’était intéressant malgré les difficultés que l’on devine: peu de temps, beaucoup de stress, planning surchargé… Parfois, on avait huit rendez-vous en une seule journée. C’était amusant de revenir à ce genre de chose. C’est bien de bosser en vitesse. Malgré le manque de temps, il y a une énergie mystérieuse à Cannes qui nous prouve que l’on peut faire quelque chose de correct en trois minutes. J’avais perdu l’habitude de travailler de cette manière-là. Ordinairement, pour réaliser un portrait, j’ai besoin de 20 minutes, parfois une heure. Ici, on n’a pas le temps de douter et avoir une idée précise de ce qu’on souhaite. Il arrive aussi que cela ne fonctionne pas comme on l’avait imaginé. Cela fait partie du jeu.

On sent dans vos ouvrages que les acteurs transmettent quelque chose. Vous les mettez en scène et en contrepartie, ils vous donnent de la générosité.

Je pense que cela fait partie de leur métier de réaliser cela. Quand je demande quelque chose, ils comprennent très rapidement. On parle le même langage artistique.

Woody Harrelson, le 17 mai 2018
Woody Harrelson, le 17 mai 2018© Stephan Vanfleteren

Est-ce que, selon vous, photographier ces personnages de la vie médiatique nécessite une certaine expérience?

Personnellement, je ne pensais pas réaliser mon travail de cette façon. Le plus important, c’est de rester calme. Réaliser un portrait à Cannes, cela peut rendre nerveux mais quand la personne est devant vous, il faut juste penser à réaliser une bonne image. Le stress et la contrainte de temps doivent être loin de vous. Pour vous donner un exemple, je devais photographier une star américaine et j’entendais son attaché de presse: « 30 secondes, 20 secondes, 10 secondes, 5, 4… C’est fini! » C’est la réalité de Cannes.

Votre travail journalistique a été reconnu à plusieurs reprises. Qu’est-ce que vous évoque cette nouvelle reconnaissance?

J’étais surpris mais c’est surtout ma collaboration avec le journal français qui m’a le plus impressionnée. Je n’aurais jamais pu imaginer cela vingt ans plus tôt lorsque j’ai commencé à travailler pour De Morgen. Le Monde est un quotidien de qualité et très respecté. J’étais fier. Quand j’ai acheté le journal le lendemain, j’avais ce sentiment très spécial en observant mon travail.

On ressent une évolution notable entre vos trois séries de photos: celles de 2017 et cette année sont plus contrastées que celles de 2016. Il y a même une prise de risque pour cette dernière édition.

Je ne sais pas. En tout cas, j’ai eu plutôt le sentiment d’avoir réalisé un travail dans le même style avec une approche identique. Mais peut-être qu’il y a une différence à ce niveau. Je n’ai pas encore regardé suffisamment. Cependant, cette année, je n’ai pas beaucoup utilisé la lumière supplémentaire. Il m’arrivait donc parfois de jouer avec le flou. Il y a une disparité là-dedans. Après dans ce que vous dites, il y a peut-être aussi eu le fait que pour la troisième année, j’étais plus à l’aise. Cela m’a permis de prendre plus de risque. J’avais le culot de prendre des risques et de m’accommoder aux difficultés. J’étais plus libre dans ma tête.

Pedro Almodovar en 2017
Pedro Almodovar en 2017© Stephan Vanfleteren

Le monde de cinéma a été, durant ces derniers mois, marqué par l’affaire Weinstein. Ce qui s’est largement reflété lors cette 71e édition du festival. A-t-elle influencé votre travail?

Non. Même si je sais que l’on en a parlé absolument partout, je n’ai pas pensé à cette affaire. Par exemple, lorsque j’ai réalisé la photo de Jérémy Renier, il y avait une connexion: il est belge, je le suis aussi. Par ailleurs, des amis, travaillant aussi dans la photo, avaient déjà travaillé avec lui. Un lien existait. Quand je lui ai demandé si je pouvais le photographier nu, il a accepté. Je ne me suis pas dit: « Oh! Il y a l’affaire Weinstein. »

Comment définiriez-vous votre style artistique et journalistique?

(Hésitations) J’essaye d’être très silencieux dans mon travail. Cela peut paraître contradictoire. Même avec l’excitation du Festival de Cannes, j’ai persisté à trouver le calme. Mon matériel me demande cela. J’utilise un appareil photo « grand format ». Ce n’est pas une mitraillette! C’est un autre rythme pour moi et pour la personne qui est photographiée. Par rapport aux paparazzis qui crient « Regarde-moi, regarde-moi! », je ne dis rien. Je demande peut-être juste de tourner la tête mais c’est tout. Je ne sais pas si c’est dû au fait que je suis belge. Par ailleurs, je trouve que l’on ne fait jamais seulement une photo pour soi-même, on le fait aussi pour les autres. C’est un drame lorsque je rate un portrait de quelqu’un que je respecte énormément. Une photo, ça se fait à deux: le photographe et le modèle.

Behnaz Jafari, le 13 mai 2018
Behnaz Jafari, le 13 mai 2018 © Stephan Vanfleteren

Visa pour l’image fête ses 30 ans. La profession de photojournaliste a beaucoup évolué. Qu’en tirez-vous?

Il y a beaucoup de soucis. Après cela dépend si on parle des difficultés rencontrées par les photographes pour gagner leur vie ou d’autre chose. Néanmoins, j’ai actuellement moins de contacts avec le photojournalisme. Avant, j’étais pleinement dans la presse. Aujourd’hui, je l’ai quittée mais je me rends compte que j’ai eu la chance d’avoir des moyens. Outre l’argent, le pouvoir des photographes est moins puissant. Le digital a accéléré les choses. Tout le monde est sur place au même moment. À l’époque, quand je photographiais le Génocide du Rwanda, je partais pour une semaine. Les photos apparaissaient neuf jours plus tard. Mais il y a aussi de bonnes choses à signaler. De nos jours, il existe tellement d’excellents photographes locaux partout dans le monde. Avant, c’était toujours les mêmes grands photoreporters occidentaux.

Mostefa Mostefaoui

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