Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le goût du saqué – être licencié par George Clooney? Une partie de plaisir… grinçant, pour une comédie sociale aussi drôle que pertinente, par le réalisateur de Thank You For Smoking et Juno.

De Jason Reitman. Avec George Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick. 1 h 48. Sortie: 20/01.

Prenez le mordant, l’ironie, du décapant Thank You For Smoking. Ajoutez-y l’épaisseur humaine et l’émotion discrète de Juno. Pimentez l’ensemble de gags féroces et de répliques subtiles. Agitez le tout en rythme avant d’y plonger l’acteur le plus charismatique de sa génération, en contre-emploi justifié. Saupoudrez le plat de scènes quasi documentaires et servez-le sur un lit d’authentique désarroi social. Vous obtiendrez Up In The Air, une comédie à la fois irrésistiblement hilarante et posant un regard lucide sur un monde du travail sans pitié, où le fauteuil de bureau est devenu siège éjectable et où morale et profit ont rarement fait aussi mauvais ménage. Adapté d’un roman de Walter Kirn(1), le film a pour personnage principal un certain Ryan Bingham. Dans son métier, Ryan est un as, un spécialiste aux méthodes reconnues pour leur efficacité. Sa profession? Aller de ville en ville, d’entreprise en entreprise, pour annoncer à certains salariés qu’ils vont malheureusement perdre leur emploi… Délocalisations, restructurations, plans sociaux: la société pour laquelle £uvre notre homme est appelée à la rescousse par les patrons et les directeurs de ressources humaines n’ayant pas le cran de « remercier » eux-mêmes les travailleurs expédiés sur la touche. Quelques mots apaisants, une brochure illusoire sur un très hypothétique futur, un regard appuyé, compréhensif et presque compatissant: la méthode Bingham fait merveille, et permet au séduisant Ryan de mener la vie qu’il aime. Une vie de célibataire prêt aux rencontres sans lendemain, passée dans les avions, les salons d’aéroports, les hôtels confortables, et offrant la possibilité d’accumuler des « miles » jusqu’à devenir un des clients d’élite d’une compagnie aérienne aux petits soins…

L’ombre du doute

L’amour, le vrai, et les menaces que la technologie fait peser sur son existence d’heureux nomade (on pourrait virer les gens par vidéoconférence, au fond!) vont soudainement instiller le doute dans la belle mécanique intellectuelle du jouisseur sans regrets. A quel point, et avec quelles conséquences? Up In The Air nous le narre de manière à la fois très divertissante et intelligemment critique. Le rire, généreusement dispensé, s’y étrangle régulièrement, lors des scènes de licenciement que même la présence d’un Clooney au sommet de son art n’empêche pas de heurter. Jason Reitman (lire notre interview en page 12) a en fait tourné des plans de réaction avec d’authentiques salariés, vraiment en train de se faire virer… et dont la production du film s’est fait un devoir d’assurer le classement en compensation de ces images « volées » à un réel tragique. Une irruption de la vie dans une fiction qui assume sa vocation de spectacle tout en portant témoignage de navrantes dérives sociales. Up In The Air n’est pas un film politique, au sens direct et engagé du terme. Mais le constat posé par cette brillante comédie n’en résonne pas moins avec une force singulière. Car au moment même où le film s’achève sur l’écran (sans complaisance pour son « héros »), la valse des suppressions d’emplois se poursuit de plus belle dans la réalité.

(1) Tout juste paru en traduction française chez l’éditeur Michel Lafon.

www.theupintheairmovie.com

Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content