Une opinion du Dick Cheney de la violence verbale (contribution extérieure)

© REUTERS/Yves Herman
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Le bilan 2018 des idioties de l’Internet continue. Cette semaine, esprit contraire et de Noël obligent, nous parlerons insultes, vulgarités et violences verbales. Aveu et disclaimer: ce n’est pas dit que tout ceci soit tout à fait sérieux. Bâtons de cuir et verrines vegan, voici le Crash Test S04E17.

C’est Noël, aussi ai-je cette semaine décidé de vous parler de vulgarités, d’insultes et de violences verbales diverses, parce que bon, la paix, la bonne volonté, tout ça, c’est exactement comme la bûche au chocolat: point trop n’en faut. Ce n’est pas qu’une provocation de ma part. Le bilan de l’année l’impose, vu que tout au long de 2018, on a pu voir se développer une tendance issue des guerres culturelles de réseaux sociaux qui entend remettre profondément en question l’usage de certaines insultes plutôt courantes. Il m’a ainsi frappé que lors d’une manifestation des Gilets jaunes à Paris, un tract aurait été remis aux participants les invitant à utiliser certaines invectives plutôt que d’autres, « afin que toutes celles et ceux qui se mobilisent se sentent bien en manif/blocage, etc. » Ce petit papier se présentait carrément comme un manuel destiné à ce que soient évitées à l’égard de la police et du pouvoir des insultes à caractère homophobe, transphobe, sexiste, « putophobe » et susceptibles de porter « toutes autres discriminations en tous genres ».

Il y était ainsi recommandé d’éviter de balancer aux flics des « sale pute » et autre « fils de pute », au motif que, selon les putes, « les CRS ne sont pas nos fils ». « Ce sont des travailleuses et des travailleurs précaires qui méritent autant de respect que les autres. » De même, on demandait d’éviter de leur hurler « pédés », « enculés » et carrément penser à ne pas trop les charger sur l’apparence, le poids, l’âge et la taille. Bref, pas de « vilain con de flic », de « gros con de flic », de « vieux con de flic », ni de « grand con de flic ». Étaient par contre permises et même encouragées des insultes telles qu' »enflure », « ordure », « fils de banquier », « larbin du pouvoir », « crevure » et « fumier ». Alors, bien sûr, il est possible que ce tract ne soit jamais qu’une blague un peu trop vite torchée. C’est qu’il est plus confus que réfléchi. Pour une invitation visant à combattre l’essentialisation, il est surtout très tartignolle d’y sous-entendre que tous les banquiers sont forcément des ennemis du peuple et que les personnes bi, homosexuelles et transgenres sont forcément victimes au quotidien de la « violence institutionnelle ». La victimisation, cette vieille habitude moderne… Je trouve sinon surtout cocasse qu’alors que la police vise les tronches au flashball, arrête violemment des journalistes et des passants et utilise des grenades de dispersion interdites en temps de guerre, certain.e.s s’en voudraient de leur lâcher un petit « bande d’enculés » un peu trop essentialiste et qui pourrait se faire sentir mal un.e camarade militant.e homosexuel.le. Ou simplement sodomite.

La victimisation, cette vieille habitude moderne…

Bien sûr, que les gens updatent un chouïa leur répertoire d’insultes et se montrent jouettes dans l’invective est plutôt une bonne chose. J’encourage cela. Je suis pour que l’on s’inspire davantage de Frédéric Dard et d’Armando Iannucci au moment de gueuler sa rage et que l’on foute à la poubelle certains clichés. Reste que le sketch voulant que lorsque l’on traite quelqu’un de « fils de pute », on se montre trop peu respectueux des putes est vraiment ridicule. Bien entendu, un pourcentage significatif de connards utilise sans doute « pédé » et « pute » parce qu’à leurs yeux, être « pédé » ou « pute » est le comble de la bassesse humaine. Il ne faudrait toutefois pas essentialiser de la sorte tous ceux qui ont recours à ces insultes. Personnellement, j’utilisais ainsi « fils de pute » et « pédé » bien avant de savoir ce en quoi consistait le métier et ce qu’était l’homosexualité. Puis, j’ai vu American Gigolo et Marc Almond à la télé et je me suis dit que vendre son expertise sexuelle et l’homosexualité n’avaient en fait vraiment rien de dégradant, bien au contraire. C’était carrément cool. Pourtant, dans la cour de récré, on a continué à se traiter de « fils de pute » et de « pédé ». Parce que le truc que n’ont pas l’air de comprendre tous ces gens qui en appellent aujourd’hui à une sorte de Convention de Genève de l’invective verbale, c’est que le sens des mots utilisés compte beaucoup moins que leurs effets escomptés. Traiter quelqu’un de pédé, ce n’est pas forcément se positionner par rapport à l’homosexualité dans la société, à sa représentation, à son histoire et à ses libertés. C’est utiliser ce mot parce qu’il est raisonnable de penser qu’il va faire mal à la personne contre lequel il est dirigé. Or, pourquoi insulter les gens si ce n’est pas pour leur faire manger du graillon?

Imaginons que je me fritte avec un roux adipeux aux goûts vestimentaires excentriques. Au moment de lui balancer un SCUD verbal, mon cerveau va notamment me proposer de le traiter de « rouquin puant » et de « gros tas » mais s’il a l’air de complètement se foutre de sa couleur de cheveux et de son embonpoint, je vais plutôt choisir « petit clown habillé chez Oxfam », « épouvantail à moineaux » ou encore « sapin de Noël en janvier ». Parce que vu la patience, l’argent et le soin qu’il met à s’habiller, il y a de fortes chances que ce soit en critiquant son accoutrement que je toucherais son point le plus sensible. Est-ce que cela veut pour autant dire que je trouve que les gens devraient porter un uniforme Mao et toute personne dépassant 90 kilos s’habiller de noir? Pas du tout. Je n’insulte pas quelqu’un pour positionner une opinion sur la société, j’insulte quelqu’un pour lui foutre un seum monstre. Dès lors, je pense que traiter quelqu’un d’ouvertement gay et bien dans sa peau de « pédé » n’a aucun sens. C’est comme si on me traitait de « mangeur de chips », de « punk à chats » ou de « porteur de chemises ». Dans le même ordre idée, traiter un flic de « nazi » ou de « Pinochet » n’a généralement aucune incidence, alors qu’invoquer son amour pour les gros bâtons de cuir qui font mal a bien plus de chances de tilter. Bref, dans les guerres verbales, je suis contre l’imposition de conventions mais pour les frappes chirurgicales et la torture psychologique. Un véritable Dick Cheney de la violence verbale.

Tant qu’on est à parler de violences verbales dans un cadre de justice sociale, j’aimerais par ailleurs pointer une autre tendance de l’année 2018 en rapport avec tout ce gloubi-boulga: sur le Net, il est pour ainsi dire devenu tabou de chambrer certaines figures médiatiques alors que pour d’autres, c’est open-bar. Je ne comprends pas cela, je ne cautionne pas cela. Quand on en vient à la critique et à la moquerie, aussi dures soient-elles, personne ne devrait être à l’abri, personne ne devrait pouvoir bénéficier de passe-droits. Si une diva de gauche de la RTBF ou de la presse écrite dit ou écrit une couillonnade, il faut pouvoir en rire autant que lorsque ce sont Georges-Louis Bouchez et Emmanuelle Praet qui balancent des carabistouilles de droite dans les médias. Théo Francken et Assita Kanko sont certes très critiquables mais pourquoi pourrait-on virtuellement leur sauter à pieds joints sur la tronche en ne voyant là rien de problématique alors que si des mandataires PS et Ecolo dégoupillent eux aussi des conneries grosses comme des centrales nucléaires, celui qui se foutra de leurs balles sera aussitôt vilipendé et jugé infréquentable. Ce sont là des exemples politiques mais ça marche avec tout, en fait: pourquoi des masculinistes qui vont courir tout nus et manger de la bidoche crue dans les bois auraient-ils l’air plus largués et chtarbés que des féministes qui cancanent de la politisation de leurs règles au-dessus de verrines vegan? Pourquoi peut-on se gausser des films DC Comics mais jamais de Marvel alors qu’ils sont pourtant tout aussi gogoloïdes? Pourquoi l’hallali sur Michel Houellebecq, qui se fout probablement jouissivement de la gueule du monde depuis toujours mais pas sur tous ces auteurs plus politiquement corrects qui pensent vraiment les idioties qu’ils débitent? Mais, mais, mais… En voilà un beau débat de réveillon. Alors, en espérant que vous ne vous tuiez pas tous au couteau à huîtres, je vous embrasse.

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