Une odyssée américaine

No Country for Old Men © National

Oh Brothers!, l’essai consacré par Marc Cerisuelo et Claire Debru aux frères Coen, reparaît dans une édition augmentée. Indispensable.

Publié en 2013, Oh Brothers! Sur la piste des frères Coen, de Marc Cerisuelo et Claire Debru, s’arrêtait sur ce qui était alors le seizième et dernier films des brothers, l’épatant Inside Llewyn Davis. Dix ans plus tard, le parcours des réalisateurs de Barton Fink et The Big Lebowski a pris un tour inattendu, puisque après deux longs métrages trahissant un certain essoufflement, Hail, Caesar! et The Ballad of Buster Scruggs, Joel et Ethan Coen ont choisi d’emprunter des chemins séparés, le premier signant une adaptation de Macbeth, le second le documentaire Jerry Lee Lewis: Trouble in Mind. Séparation de circonstance ou rupture définitive? Seul l’avenir le dira. En attendant quoi les auteurs proposent judicieusement une édition augmentée de leur essai, qu’ils ponctuent en formant un vœu que l’on devine partagé par l’ensemble des aficionados: “que le tardif appel de l’aventure en solitaire soit si fructueux, si satisfaisant que le retour à la fratrie d’Ithaque relève d’une douce évidence”.

Le parcours des Coen, Oh Brothers! l’envisage in extenso, de Blood Simple (1984) à The Tragedy of Macbeth (2021), décryptant chacun de leurs 18 longs métrages en commun, non sans épingler leurs participations à d’autres films, en qualité de scénaristes ou producteurs. L’intérêt de l’ouvrage est multiple, qui apporte un éclairage fouillé sur un imposant corpus partagé pour l’essentiel entre film criminel et comédie, en soulignant les lignes de force tout en invitant, pourquoi pas, à réviser des jugements par trop hâtifs -les auteurs réhabilitent ainsi Intolerable Cruelty et, dans une moindre mesure, Hail, Caesar!. Ils soulignent les particularités de chaque film, non sans s’attacher à une galerie de personnages qui, de la trilogie d’idiots campés en son temps par George Clooney en passant par le Dude immortalisé par Jeff Bridges, et jusqu’au psychopathe définitif composé par Javier Bardem dans No Country for Old Men, ont coloré leur univers -quand bien même serait-il en noir et blanc comme dans The Barber.

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Au fil des pages, l’essai s’emploie également à explorer le rapport intime des frères Coen à la culture populaire américaine, que ce soit le cinéma hollywoodien (avec la figure tutélaire de Preston Sturges), le roman hard-boiled (et plus particulièrement Hammett, Chandler et James M. Cain), la musique, country, rock ou gospel, et jusqu’à la télévision. Une grille de lecture passionnante qui, si elle montre combien l’œuvre de Joel et Ethan Coen est poreuse aux influences diverses, établit aussi combien ils ont réussi à les digérer pour les (anti)-conformer à leur imaginaire, en une “stratégie d’éloignement vis-à-vis des modèles qui confine au grand art. De quoi composer une odyssée américaine ayant fait d’eux des figures essentielles du cinéma contemporain.

Oh Brothers! Sur la piste des frères Coen

De Marc Cerisuelo et Claire Debru, éditions Capricci, 312 pages.

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