LAURENT CANTET SE LIVRE À UN FASCINANT INVENTAIRE CUBAIN, ÉVOQUANT PROMESSES ET ESPOIRS DÉÇUS À L’OCCASION DES RETROUVAILLES DE CINQ AMIS HAVANAIS.

Retour à Ithaque

DE LAURENT CANTET. AVEC NESTOR JIMENEZ, JORGE PERUGORRIA, ISABEL SANTOS. 1 H 35. SORTIE: 03/12.

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Avec Retour à Ithaque, son sixième long métrage, Laurent Cantet (lire son interview page 36) poursuit dans la veine aventureuse présidant avantageusement à sa filmographie. Si le cinéma français l’a rapidement adoubé (César du meilleur premier film pour Ressources humaines), le réalisateur compte, à l’instar d’un Olivier Assayas, parmi ceux s’étant rapidement sentis à l’étroit dans les carcans de la production hexagonale. Du reste n’a-t-il pas attendu le surcroît de reconnaissance lié à la Palme d’Or d’Entre les murs pour voguer vers d’autres horizons, entamant, dès 2005 et Vers le Sud, un film qui l’emmenait en Haïti, un parcours aux déclinaisons internationales. Et de se multiplier par la suite en terrains divers, que ce soit aux Etats-Unis pour Foxfire, maîtresse adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates. Ou, aujourd’hui, à Cuba, cadre de son Retour à Ithaque, co-écrit pour sa part avec Leonardo Padura, auteur avec qui il s’était lié d’amitié à la faveur du film collectif Sept jours à La Havane.

Des vies confisquées

Fort librement inspirée du roman Le Palmier et l’étoile, l’histoire a pour décor une terrasse havanaise, où sont réunis cinq amis affichant la petite cinquantaine, et célébrant le retour au pays d’Amadeo, revenu de seize ans d’exil espagnol. Il y a là musique et rhum, et l’expression d’une connivence inscrite dans leur ADN, ou peu s’en faut. Mais si les anecdotes fusent, anodines comme des amourettes sans lendemain ou légères comme un joint risqué malgré l’interdit, le ton évolue insensiblement, semblant devoir s’obscurcir alors que la nuit enrobe bientôt les vibrations provenant de la ville -un match de base-ball entre les Industriales et Santiago, ou ce cochon saigné sur un toit voisin. C’est qu’il y a là des questions restées sans réponse, et notamment le pourquoi du départ discret d’Amadeo, qui avait laissé derrière lui Angela, rongée par la maladie; et puis toutes les autres, lancinantes, les ayant conduits, les uns comme les autres, à passer à côté de leur vie.

A travers leurs conversations, c’est à un inventaire sans complaisance mais pas sans nuances de la société cubaine que se livre Padura, faisant se confondre perspectives intime et générale sur une ligne du temps courant de l’époque de la « crédulité heureuse » à celle des espoirs déçus. Et d’en élargir encore la portée, dès lors qu’il y est encore question des compromis nécessaires, et surtout de cette peur qui gangrène les destinées en même temps qu’elle les gouverne toujours plus. La terrasse, dès lors, n’ouvre plus seulement sur le Malecon mais également sur le monde, et le mérite en revient aussi à Laurent Cantet, dont la mise en scène, si elle assume sans complexe la dimension théâtrale et ascétique du dispositif, réussit aussi à la transcender sans ostentation. Jusqu’à conférer à ce film, par-delà son côté fort discursif, une intensité assurément peu banale.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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