Une note d’espoir dans une année pourrie: la boîte à musique a continué à tourner

Cet été, le festival Paradise City s'est tenu sur l'eau, le public dansant en bulles sur des radeaux. © BELGAIMAGE
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Tant bien que mal, les musiciens ont continué à créer et à jouer, via le Net essentiellement, devant leur écran. Voire, entre les deux vagues, devant un vrai public, même limité.

Comme les autres secteurs culturels, la musique a payé un lourd tribut au coronavirus. Et on ne parle pas seulement des musiciens que la Covid a emportés – Manu Dibango, Christophe ou Lee Konitz pour les plus « iconiques ». Rappelez-vous, au début du confinement, il s’agissait encore de se cloîtrer pour « sauver l’été ». Las, il n’a pas fallu longtemps pour comprendre que les festivals allaient passer à la trappe. Live DMA, le réseau européen des associations de musique live qui regroupe quelque 2.600 salles dans seize pays européens, a récemment publié un rapport estimant la perte du secteur à 1,2 milliard d’euros. Aujourd’hui, la tenue de grands rassemblements en 2021 est loin d’être garantie. Et les perspectives ne sont pas plus claires pour les salles de concerts. Sans parler des clubs: depuis mars, leurs portes sont restées désespérément closes. Le monde de la nuit agonise.

Avec le live u0026#xE0; l’arru0026#xEA;t et les disquaires fermu0026#xE9;s, le streaming est devenu plus que jamais la branche u0026#xE0; laquelle s’accrocher.

Et pourtant, malgré cela, la boîte à musique a continué à tourner, tant bien que mal. Entre les deux vagues, les salles se sont pliées en quatre pour s’adapter, répondre aux protocoles et organiser malgré tout des concerts, forcément assis (les Nuits Botanique à Bruxelles; l’Austral Boréal à Liège; le festival électronique Paradise City, qui s’est tenu sur l’eau, le public dansant en bulles sur des radeaux bricolés, etc.).

Certains en ont même profité pour s’attaquer à des chantiers reportés depuis longtemps, ou imaginer de nouvelles façons de fonctionner. Notamment en envisageant le défi climatique: comment limiter l’impact carbone de l’activité du live? Une question que s’est posée, par exemple, le groupe Massive Attack sur son dernier EP, et avec un documentaire réalisé en collaboration avec le Tyndall Centre for Climate Change Research, une organisation de recherche sur le changement climatique basée au Royaume-Uni.

Le streaming, pillage ou bouée de sauvetage?

Durant le confinement de printemps, les initiatives se sont également multipliées sur le Web: live sur Facebook ou YouTube, concerts en streaming sur Instagram ou Twitch, mix virtuels depuis le salon, la plupart du temps gratuits. La production musicale n’a d’ailleurs jamais vraiment cessé.

Certaines stars ont bien reporté la sortie de leur nouvel album, mais d’autres ont maintenu, tirant souvent leur épingle du jeu. 2020 aura ainsi vu débouler des nouveaux disques de Lady Gaga, Bob Dylan, Beyoncé, Bruce Springsteen, The Weeknd, The Strokes, Alicia Keys, Gorillaz, Dua Lipa, Ariana Grande, ou encore, du côté francophone, Damso, Aya Nakamura, Benjamin Biolay, Julien Doré, etc. Bref, des super-productions que la pandémie n’a pas arrêtées.

Pour d’aucuns, le confinement a même stimulé la créativité. Du projet collaboratif des Bruxellois de YellowStraps à la superstar pop Charli XCX, qui annonçait à ses fans dès le début de la quarantaine de printemps qu’elle allait en « profiter » pour concevoir un nouvel album quasi en direct, en quelques semaines, depuis sa chambre. Pari réussi: à la mi-mai, How I’m Feeling Now était disponible sur toutes les plateformes de streaming.

Plus que jamais, c’est d’ailleurs bien là que cela se passe. En basculant plus vite et plus fortement que les autres dans le digital, certes en grande partie contrainte et forcée, la musique a pu continuer à s’animer sur les multiples plateformes – Spotify, Apple, Deezer, etc. Avec un secteur du live à l’arrêt, et des disquaires qui, faute d’être considérés comme des commerces essentiels, à l’instar des librairies, doivent fermer, le streaming est devenu plus que jamais la branche à laquelle s’accrocher. Quitte à devoir se repenser. Car, pour beaucoup, le modèle ne fonctionne pas.

Pour un Bandcamp qui se pose comme plus équitable, la plupart des autres plateformes sont accusées de piller en douce les artistes. En ligne de mire, la plus populaire d’entre elles, Spotify. Fin octobre, l’Union of Musicians and Allied Workers (UMAW), un syndicat américain de musiciens, lançait une campagne intitulée « Justice at Spotify », réclamant une meilleure rétribution pour les créateurs. Un peu plus tôt, le patron Daniel Ek avait déjà donné sa vision des choses: si vous voulez compter sur le streaming pour compenser la perte des ventes du physique, voire la disparition des concerts, « il n’est plus possible d’enregistrer un album une fois tous les trois ou quatre ans en espérant que ce sera assez ». Travailler plus, pour gagner plus? Les intéressés auront apprécié.

Le défi: un #metoo pour la musique

Trois ans après le début de l’affaire Weinstein, le monde de la musique semble prêt à s’attaquer à ses propres dérives. Jusqu’ici sporadiques, les accusations de viol et d’agression sexuelle se sont multipliées. Et ce dans tous les milieux : classique (le site Paye ta note, les déclarations des soeurs Berthollet), rock (la dissolution du label Burger Records), rap (Roméo Elvis, le cas Moha La Squale), électronique (Derrick May), chanson (Patrick Bruel), etc. Face à cela, et plus généralement en réaction à une industrie au machisme quasi constitutif, des réponses se sont structurées. Comme la plateforme Scivias en Belgique, regroupant une série d’institutions publiques, ou D.i.v.a. et Change de disque en France.

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