Sozyone Gonzalez, tendre crapule

© DR

Fils prodigue et rebelle issu du graff, Sozyone Gonzalez livre les cinq thèmes qui ont inspiré sa nouvelle exposition. Portrait en creux d’un voyou lumineux.

1. L’exil

Depuis 2008, Sozyone Gonzalez, figure légendaire du hip hop belge (De Puta Madre…), a quitté Bruxelles. Désormais, il s’est installé dans le sud de l’Espagne, plus précisément dans la banlieue de Valence. « J’ai la plage à 100 mètres de chez moi, c’est comme des vacances qui s’éternisent. » Cet exil volontaire a fait énormément de bien à son travail car il n’en pouvait plus de la ville qui l’a vu naître. « J’attendais tellement de Bruxelles, je voulais qu’elle soit comme Londres ou New York mais rien ne venait jamais. »

De cette insatisfaction est née d’abord une grosse lassitude, ensuite un dégoût auquel il est dangereux de s’habituer: « Si tu restes tout le temps aux chiottes, tu risques de ne même plus sentir la merde ». Pour marquer la rupture, il pose un geste fort: « J’ai pris la décision de ne plus taguer dans cet environnement pasteurisé ». Pour qui connaît sa manière de fonctionner, une telle décision ne peut rester sans conséquence tant Sozyone tire l’essence de son travail dans la rue.

Depuis qu’il est à Valence (« pas loin d’un aéroport »), tout a changé, il renoue avec les graffs et le souffle d’une ville qui vit. « Si un Guardia civil te chope là-bas, tu discutes, au bout du compte le mec va même peut-être apprécier ton travail, y’a pas encore tout l’arsenal répressif qu’on trouve dans le nord de l’Europe. » Du coup, c’est apaisé que Sozyone débarque à Bruxelles, trop content de payer un sandwich à l’américain à gauche, des spéculoos à droite.

2. La violence

Sozyone Gonzalez entretient « une romance avec la violence ». En ce sens, il est en totale rupture avec l’art contemporain qui s’est fait une tradition de « promouvoir les artistes qui ne disent rien, qui ne dérangent pas ». Pour lui, l’art (il cite de façon emblématique le jazz, le blues) se doit de fouiller la violence. « Si l’on s’interdit d’exprimer cette violence, c’est carrément toute la sincérité d’une démarche qui fout le camp. »

Avec Voyov, sa dernière exposition, Sozyone explore une brutalité liée au territoire, celle des hommes qui se battent pour un quartier, mais aussi celle des chiens ou des coqs qui naturellement chargent celui qui a le malheur d’enfreindre le périmètre de sécurité.

3. Les voyous

Bébert l’enjôleur, Jean le Frisé, Maurice des Belles Japonaises, Riton le Tatoué ou Dédé les Diam… Il y a chez Sozyone une véritable fascination pour le milieu, comme le laisse présager le titre de l’expo Voyov, qui n’est autre que le mot « voyou » revisité par le biais d’une stylisation graphique. « Rien de plus fascinant que de peindre la vie d’un voleur, il y a un côté « je suis seul et je vous emmerde tous » qui me scotche.

« Attention, pas n’importe quelle crapule ou petit arnaqueur sans envergure. Ce qu’il aime, ce sont les Apaches du tournant du XXe siècle ou les criminels de l’après-guerre, les mauvais garçons qui suivent une même loi, cruelle et non écrite. Marlou nippé blouse bleue et casquette ou gangster à borsalino, il se passionne pour « ces voyous de l’ancien temps dont le parcours se terminait toujours trop tôt, le nez dans le ruisseau… la faute aux pruneaux » (Paris Gangster, de Claude Dubois, éditions Parigramme). En témoignent ses lectures sur la bande à Bonnot ou sur le gang des tractions avant. Il puise également son inspiration dans Le Voleur de Louis Malle mais aussi chez Verneuil (« surtout Peur sur la ville« ) et Audiard.

4. La dentelle

Paradoxalement, le travail de Sozyone évoque celui d’une dentellière. L’homme est un vrai styliste qui lèche la moindre courbe. Voyov en témoigne à travers une série de dessins et de toiles à l’acrylique. C’est dans ces dernières que l’on en prend la mesure: des lignes claires qui font l’économie du contour type manga, à l’intérieur desquelles les couleurs semblent flotter. Le tout d’une grande intensité graphique.

Ce contraste entre la violence des sujets représentés et la finesse de l’expression révèle la personnalité de celui qui, à 16 ans, faisait déjà la première partie de De La Soul avec son groupe De Puta Madre. A l’inverse du célèbre barbare dans un corps d’enfant, Sozyone possède un physique de Goth dissimulant une âme délicate d’esthète. Pour lui, un oiseau est la plus belle chose sur terre. « A Valence, je reste figé lorsque j’ai la chance d’apercevoir un vol de flamants roses. » Il concède également que, pour lui, « marcher sur une fleur ou scier un arbre est 1000 fois plus violent que taguer un mur ».

5. Le cinéma

Dans la hiérarchie des disciplines artistiques, Sozyone classe désormais le cinéma avant toutes les autres formes d’expression. Pour lui, tout y est, de la peinture à la sculpture, en passant par la musique qui brode les bandes-son et le mouvement qui magnétise tant son travail. « Le cinéma est le plus gros pinceau que j’ai jamais eu entre les mains. » Du coup, il s’en donne à coeur joie, réalisant ce court métrage violent et symptomatique de ses tourments.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Voyoz, expo de Sozyone Gonzalez, jusqu’au 26 mars chez ALICE Gallery, Rue du Pays de Liège, 4 à 1000 Bruxelles.

Michel Verlinden

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content