Série ville et cinéma (3/7): Londres et Notting Hill

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Certes, il y avait le sourire inoxydable de Julia Roberts et le charme rêveur de Hugh Grant. Ce n’est pas leur faire injure, toutefois, que d’écrire que leur rencontre n’aurait pas eu la même saveur sans le décor bigarré de Portobello Road, histoire de faire swinguer Londres et les c£urs dans un même élan. Les idées les plus simples font parfois les grands films. Et si l’accroche de Notting Hill semblait tirée tout droit d’un roman de gare ou de quelque fantasme de scénariste – « l’actrice la plus célèbre de Hollywood peut-elle fondre pour le premier quidam venu?« , pensez-vous-, elle a aussi valu à la comédie romantique l’un de ses authentiques fleurons. Le genre de film que l’on ne se lasse pas de revoir tant chacun des éléments semble s’y couler dans un ensemble harmonieux.

Dix ans et quelques après la sortie du film, le quartier londonien auquel il emprunte son titre n’a pas connu de changements agressifs. Notting Hill n’a pas attendu que Roger Michell y plante sa caméra, à la fin des années 90, pour bâtir sa légende, il est vrai -le carnaval est une institution; quant à Portobello Road, c’est de toute éternité un passage obligé lors d’une visite londonienne, que l’on soit en quête de vinyles rares, de frusques, d’antiquités… ou, tout simplement, d’un peu de couleur locale. Il y a d’ailleurs quelque chose de rassurant, lorsqu’on sort du métro à Notting Hill Gate, à découvrir un endroit relativement épargné par la grande mue londonienne. Si l’offre de restaurants s’est sensiblement élargie, les échoppes cosmopolites demeurent, et jusqu’aux boutiques de seconde main parmi lesquelles un Music & Video Exchange, inamovible paradis des vinylophiles.

Yo-yo vintage

Le coeur du film se situe à une poignée de rues de là, et tient en quelques centaines de mètres à peine. Par cette matinée de juin, le romantisme de Portobello Road, que l’on aborde côté antiquaires, apparaît surtout comme une vue de l’esprit. A croire que le compteur, qui faisait défiler les saisons dans une scène inoubliable du film, s’est bloqué sur averses automnales, les cieux se déversant sans modération sur les rares badauds, égarés entre des étals de fruits clairsemés sur le bitume. Les enseignes se succèdent, familières ou non -Belgian Waffles, Harris Arcade- jusqu’au 142, avec sa devanture bleue reconnaissable entre mille. C’est ici, en effet, que William Thacker/Hugh Grant tient une librairie de voyage dont Anna Scott/Julia Roberts franchit un jour le seuil alors qu’elle est en tournée promotionnelle pour un film de science-fiction, Helix -le point de départ d’une aventure sentimentale à rebondissements . L’endroit n’a jamais accueilli de Travel Bookshop; afin, cependant, que le visiteur soit sûr de son fait, la boutique de chaussures qui occupe les lieux s’appelle Notting Hill, et expose l’affiche du film dans sa vitrine. Le magasin d’origine, celui dont s’est inspiré le scénariste Richard Curtis, n’est pas bien éloigné pour autant: passé le Duke of Wellington, et l’antique Electric Cinema, on tourne à gauche dans Blenheim Crescent, pour trouver, au 13, The Travel Bookshop, ouvert il y a un peu plus de 30 ans, en 1979 -autant dire une éternité, avant que Portobello ne devienne une artère dédiée majoritairement au luxe, fut-il bohème (en sus de ces incontournables du paysage urbain que sont désormais les enseignes façon Starbucks et autre Coffee Republic). Un pâté de maisons plus loin, et on arrive à Westbourne Park Road. C’est là, à quelques mètres à gauche, au 280, que se trouve le flat que partagent William Thacker et Spike (Rhys Ifans), son encombrant colocataire. A la porte bleue s’est substituée une noire, anonyme; quant au numéro, il ne figure qu’en chiffres microscopiques, histoire, sans doute, de préserver la quiétude des occupants (au rang desquels figura un temps Richard Curtis lui-même). Sous la pluie battante, l’ensemble n’a à vrai dire qu’un charme relatif, et on peine quelque peu à imaginer la meute de photographes guettant l’apparition d’Anna Scott (ou encore celle de Spike dans un slip embarrassant). Retour sur Portobello. Passé le viaduc de Westway, après avoir longé le mur Recollection, avec son alignement géant de tranches de pochettes de 33 tours, où celle de Sandinista de Clash voisine celle de Imperial Bedrooms de Costello, et après avoir continué sur 2 blocs encore, on arrive à Golborne Street. C’est ici, légèrement excentré, au coin de Bevington que se trouvait le restaurant de Tony (Richard McCabe) -désormais une boutique design répondant au nom de Portfolio, le genre d’endroit où l’on vend des yo-yo vintage, pour situer.

Tant qu’à faire des allers et retours, on revient sur ses pas, pour bientôt emprunter Elgin Crescent. En contrebas, la Rosmead Road abrite les Rosmead Gardens, jardin collectif et cadre d’une échappée nocturne romantique du duo d’amoureux. Il faut montrer patte blanche, toutefois, et on ne se risquerait pas à escalader comme eux la grille cadenassée. Qu’à cela ne tienne, Lansdowne Road nous tend les bras. C’est ici, au 91, qu’habitent Bella et Max (Gina McKee et Tim McInnerny), les proches de William, chez qui il leur fait la surprise de débarquer un soir avec Anna Scott, dans l’un des moments les plus magiques du film. Comme ses voisines, la maison a été refaite de neuf: le quartier s’est ostensiblement embourgeoisé, havre de tranquillité pimpante à quelques encablures de la fureur de la City. On redescend alors vers Holland Park Avenue pour la longer jusque Notting Hill. Au Coronet, on projette Mammuth de Kervern et Delépine, plutôt que Helix; le quartier n’est pas seulement branché, il est aussi cinéphile, et même francophile, puisqu’à côté, The Gate propose Potiche avec, le soir même, un Q & A par satellite avec Catherine Deneuve.

Helix, pour sa part, offrait aux auteurs de Notting Hill l’un des épisodes les plus savoureux du film, celui où Hugh Grant se mue en reporter de Horse & Hound venu interviewer la star Anna Scott. La scène, épique, du junket (grand raout où la presse cinématographique rencontre, à la chaîne, les membres de l’équipe d’un film) se déroule au Ritz, sur Piccadilly. La suite est classique: Piccadilly Circus, Leicester Square, en chantier jusqu’en 2012, Covent Garden et enfin The Strand, où se trouve le Savoy, palace parmi les palaces du West End, auquel on accède par une allée privée où des maîtres d’hôtel, impavides, règlent le ballet des taxis entrant et sortant. C’est là le cadre de la conférence de presse chahutée par l’irruption de William, débarqué en toute hâte après avoir traversé la ville au son du Spencer Davis Group – Gimme Some Lovin’, quoi d’autre?

Avant d’en arriver là, il a dû s’aventurer au nord de Londres, où Anna Scott tourne, à Kenwood House, une adaptation de Henry James. L’endroit se mérite -on y accède via la Northern Line, et le bus 210 qui, au départ de Golders Green, gravit et redescend les collines de Hampstead. Au coeur d’un parc immense, surplombant un étang, la Kenwood House abrite une riche collection de peintures, de Turner à Gainsborough. La balade dispense un charme bucolique d’autant plus inattendu qu’on a Londres littéralement à ses pieds. Le genre d’endroit où, avec un peu d’imagination, on pourrait croire que la plus grande star du monde s’éprenne du premier quidam venu, en effet. Histoire de ne pas redescendre trop brusquement de ces romantiques hauteurs, ne reste plus, ensuite, qu’à se laisser happer par le happy end du film, du côté de Bayswater, aux Craven Hill Gardens…

Jean François Pluijgers, à Londres.

EN LIEN AVEC NOTRE SÉRIE D’ÉTÉ, LA CINEMATEK PROGRAMME FILMCITIES, UN CYCLE SUR LES VILLES AU CINÉMA. DU 15/07 AU 31/08, À BRUXELLES. A (RE)VOIR: NOTTING HILL, LE 20/07.

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