Laurent Raphaël

Les footeux d’un côté, les intellos de l’autre? Pas si vite…

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Les clichés ont la vie dure dans le foot. Surtout quand des hordes de bêtes sauvages s’emploient à les cimenter à coups de poings et de barres en fer sous l’oeil baveux des caméras.

Parmi ces étiquettes collées à la Glu sur le cuir du ballon rond, il y a celle qui veut que le supporter de foot est plus proche du bétail que du singe dans la classification des espèces vivantes. Et que par conséquent, celui qui refuse de faire allégeance à ses bas instincts se doit de mépriser ce jeu qui déchaîne les passions et semble avoir été inventé par un affidé de Mussolini uniquement pour distraire et endoctriner le peuple. Les footeux d’un côté, les intellos de l’autre, et tout le monde pourra persifler tranquillement.

Sauf que cette ligne de démarcation culturelle, dont se repaît une forme de snobisme anti-populo, ne résiste pas à l’épreuve du carbone 14. Ronsard, le prince des poètes, en pinçait pour la soule, sorte d’ancêtre du foot, lui inspirant notamment ces vers qu’on rêverait d’entendre dans la bouche des commentateurs: « Faire d’un pied léger poudroyer les sablons/Voir bondir par les prés l’enflure des ballons. » Rodrigo, si tu nous entends…

Les clichu0026#xE9;s ont la vie dure dans le foot.

Plus près de nous, Camus n’a jamais caché sa passion pour ce sport collectif. L’ancien gardien de but du Racing Universitaire Algérois a même trouvé sous les crampons de quoi nourrir sa pensée: « Vraiment le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football. » S’il avait préféré le badminton ou le bridge, L’Etranger n’aurait peut-être jamais vu le jour…

Le foot comme théâtre de la comédie humaine, comme miroir des lignes de force de la société, c’est aussi ce qui a attiré la plupart des romanciers qui ont planté leur plume dans le gazon (lire notre sélection dans le Focus du 17 juin). Nick Hornby pour évoquer cette passion enfantine devenue béquille existentielle, John King pour une plongée fulgurante dans la culture prolo, Jean-Philippe Toussaint pour une exaltation en dentelle du beau geste. Le foot fonctionne comme un écran géant sur lequel chacun peut projeter ses propres fantasmes, démons et obsessions. Ce que Pierre Desproges ne semble pas avoir perçu, l’humoriste crachant toutes ses dents grinçantes contre la réputation bourrine -pas toujours usurpée il est vrai- de ce sport: « Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de 22 handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de boeufs éteints.« 

Et encore, il n’a pas assisté à l’OPA sur le foot mondial par la finance, transformant ce sport éminemment populaire en activité de loisir pour classe moyenne et club d’affaires pour riches émirs. De quoi nourrir la nostalgie des supporters qui ont connu l’époque épique des championnats, anglais notamment, jamais joués d’avance. Une amertume qui peut conduire au divorce. Comme chez l’écrivain nord-irlandais Robert McLiam Wilson, qui explique dans une chronique savoureuse parue dans Libé le 10 juin qu’il ne supportait « plus ces joueurs outrageusement riches et bêtes. Les propriétaires d’équipe qui finissent tous par s’avérer magouilleurs russes, princes arabes ou évadés fiscaux asiatiques. Les entraîneurs, escrocs sans grâce qui croient à leur escroquerie -qu’ils ont la moindre influence sur ce qui se passe sur le terrain. Le foot est devenu un cauchemar thatchérien et je ne supportais plus l’argent, la misogynie, le tribalisme. Surtout l’argent.« 

A-t-il pour autant tiré un trait définitif sur sa passion? Non bien sûr. Requinqué par la victoire romanesque de Leicester City au nez et à la barbe des clubs friqués en Premier League et cet autre miracle qu’est la présence de son micro pays à cet Euro -qui n’a aucune chance de l’emporter mais est un sérieux « prétendant à la palme du joueur le plus moche« -, McLiam Wilson appelle à soutenir les équipes sans prestige. « Savourez l’échec et la probable déception. Accueillez l’absence totale de glamour, de sport, de technique. Prenez la dépressive départementale qui mène à l’obscurité. Encouragez les vrais sans-espoirs« , plaide l’auteur d’Eureka Street. On lui rétorquera qu’en matière de déceptions et d’espoirs douchés on a déjà pas mal donné. Et qu’on ne boudera pas trop notre plaisir cette fois-ci si les Diables poussent le vice jusqu’à la finale, et font virevolter au passage leurs sablons poudroyés…

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