Léonard de Vinci et l’ « arrogance française »

Portrait de Léonard de Vinci, par Lattanzio Querena (1768 - 1853). © DEA-D. DAGLI ORTI/Getty Images

« Léonard est Italien », « les Français ne peuvent pas tout avoir…. » La controverse venue d’Italie à propos de la célébration par la France des 500 ans la mort de Léonard de Vinci témoigne d’une relation complexe dans les arts, entre estime et rivalité.

Tout semblait se dérouler comme prévu après l’accord passé l’an dernier entre les gouvernements français et italien prévoyant que l’Italie prête ses tableaux de Léonard de Vinci (1452-1519) au Louvre pour une grande exposition à l’automne marquant le 500e anniversaire de la mort du génie de la Renaissance.

En contrepartie, il avait été convenu que le Louvre prête des oeuvres de Raphaël (1483-1520) à un musée de Rome pour une exposition organisée l’année suivante pour célébrer là encore les 500 ans de la mort de cet autre grand maître de la peinture.

C’était sans compter la nouvelle secrétaire d’Etat italienne à la Culture Lucia Borgonzoni qui un an, et une élection plus tard, a décidé de revenir sur les termes de l’accord franco-italien, les jugeant « inconcevables ».

« Léonard est Italien, il est seulement mort en France (…). Le prêt de ces tableaux au Louvre placerait l’Italie à la marge d’un événement culturel majeur », a déclaré Mme Borgonzoni, membre de la Ligue, parti d’extrême droite arrivé au pouvoir en juin dernier.

« Dans le respect de l’autonomie des musées, l’intérêt national ne peut pas arriver en second, les Français ne peuvent pas tout avoir », a ajouté la ministre qui considère qu’il faut « tout rediscuter ».

Loin d’être anecdotique, cette énième escarmouche franco-italienne est aussi révélatrice de la relation complexe, faite de proximité latine et de condescendance, qui unit les deux nations depuis des siècles.

Thématique récurrente chez les Italiens, « l’arrogance française » s’est une nouvelle fois trouvée au coeur des récentes tensions diplomatiques entre les deux pays sur la question des migrants.

– ‘Soeurs latines’ –

« Dans le domaine culturel, comme dans d’autres, la rivalité entre celles qu’on appellent les soeurs latines est indéniable », explique à l’AFP Jean-Yves Frétigné, coauteur de « La France et l’Italie. Histoire de deux nations soeurs » (Armand Colin, 2016, avec Gilles Bertrand et Alessandro Giacone).

« Il y a d’un côté l’Italie qui revendique d’être l’aînée parce qu’elle est, avec Rome, la matrice de l’art occidental et de l’autre la France qui éprouve un sentiment de supériorité vis-à-vis de sa voisine, préférant se tourner vers l’Allemagne ou, à une certaine époque, l’Angleterre », souligne l’historien.

Quant aux campagnes napoléoniennes au cours desquelles des centaines d’oeuvre arts ont été saisies en Italie pour alimenter des musées français, à commencer à la Louvre, elles ont laissé aux Italiens l’impression d’avoir été pillés.

Un sentiment tenace qui alimente aujourd’hui encore bon nombre de rumeurs, comme celle qui voudrait que la célébrissime « Joconde » de Léonard de Vinci ait été, elle aussi, dérobée par celui qui n’était encore que Bonaparte.

L’une des hypothèses retenues pour expliquer le vol, en 1911, de Mona Lisa au musée du Louvre est d’ailleurs que l’auteur des faits, un modeste ouvrier italien, ait agi par patriotisme afin de rendre le chef-d’oeuvre à sa terre natale.

Il est considéré comme établi que le tableau a été vendu par l’artiste à François Ier qui l’avait invité à venir séjourner au château d’Amboise à la fin de sa vie.

« Alors qu’il pourrait être le symbole d’une amitié franco-italienne, De Vinci devient l’enjeu d’une polémique artistique regrettable », déplore Jean-Yves Frétigné.

Pour Eike Schmidt, directeur du musée des Offices à Florence, où sont conservés trois tableaux de Léonard, c’est d’abord l’état de conservation des oeuvres qui doit présider, « avant toute autre considération », notamment politique, à la décision de les prêter ou non.

« Nos trois tableaux – « L’Adoration des mages », « L’Annonciation », « Le Baptême du Christ »- sont inscrits depuis 2009 dans la liste des oeuvres qui ne sont pas prêtables ».

« Le Louvre, fort justement, ne fait pas voyager +La Joconde+ à part quelques rares exceptions (aux Etats-Unis en 1963 et au Japon en 1974, ndlr).

« Ce n’est pas un caprice de directeur et je crois donc avoir l’appui des mes confrères français lorsque nous appliquons la même règle à nos tableaux », a précisé M. Schmidt.

Son confrère Simone Verde, qui dirige la Galerie nationale de Parme en a, lui, d’ores et déjà accepté de prêter au Louvre l’unique De Vinci de ses collections, « L’Ebouriffée ». Cette peinture inachevée devrait donc faire partie de l’exposition française. A moins que la politique n’en décide autrement.

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