Critique

[Le film de la semaine] Mountains may depart, la couleur des sentiments

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Toujours à l’écoute des mutations de son pays, le cinéaste chinois Jia Zhang-ke en explore les conséquences dans le champ de l’intime, au départ d’un triangle amoureux sensible.

Manière de boucler la boucle, Go West, des Pet Shop Boys, ouvre et referme Mountains May Depart, petit bijou du réalisateur chinois Jia Zhang-ke, l’auteur notamment du mémorable Still Life. Entre ces deux moments, quelque 25 ans se sont passés, et si Tao (lumineuse Zhao Tao, l’actrice fétiche du cinéaste) évoluait au diapason d’un avenir collectif rayonnant en 1999, elle semble désormais vouée à un vague à l’âme solitaire qu’elle éclaire d’un pâle sourire -dérisoire, sinon chargé d’amertume.

Le temps et les mutations de la Chine constituent, on le sait depuis Platform déjà, la matrice récurrente du cinéma de Jia, qui y confronte le destin de personnages emportés dans le tourbillon de l’existence. Ce nouvel opus ne déroge pas à la règle, qui débute à la manière de quelque triangle amoureux classique, alors que, dans l’insouciance de la jeunesse, Tao, une fille de Fenyang, est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zhang (Zhang Yi) et Lianzi (Liang Jin Dong). Propriétaire d’une station-service, le premier a parfaitement intégré les rouages du capitalisme en marche, totalement étrangers, par contre, au second, ouvrier dans une mine de charbon, la cour assidue qu’ils mènent à la jeune femme reposant d’ailleurs sur des arguments sensiblement différents. Et si, entre les deux, son coeur balance, c’est aussi entre deux versions de la Chine qu’elle s’apprête à poser un choix, avec des conséquences profondes, pour elle et son futur fils Daole (promptement surnommé Dollar, et pour cause); effets dont le film va prendre la mesure sur la distance, s’inscrivant à trois périodes distinctes: 1999, 2014 et 2025, pour un ultime volet australien.

Observateur aussi avisé qu’inspiré des bouleversements que connaît son pays, Jia Zhang-ke en livrait la chronique désenchantée il y a tout juste deux ans, dans le remarquable A Touch of Sin. Il s’intéresse aujourd’hui à la manière dont ces changements peuvent affecter les individus de l’intérieur, jusqu’à s’insinuer, presque insensiblement, au plus profond d’eux-mêmes. Une évolution tangible que Mountains May Depart confronte à une philosophie immuable de l’existence, en quelque délicat jeu de tensions. Ample sans ostentation, il y a là un film fort, trouvant, tout en émotions contenues, les accents d’une subtile et mélancolique beauté.

DE JIA ZHANG-KE. AVEC ZHAO TAO, ZHANG YI, LIANG JIN DONG. 2 H 11. SORTIE: 23/12.

Dans le Focus du 18 décembre, notre interview de Jia Zhang-ke, sa filmographie…

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