Critique

[la série de la semaine] Les Shitsel, une famille à Jérusalem (saison 3): méta orthodoxes

© OHAD ROMANO
Nicolas Bogaerts Journaliste

La troisième livraison poursuit sa tradition d’un récit subtil, drôle, qui questionne les notions de communauté, de représentations et de narration.

Shulem Shtisel est le rabbin d’une heder (un école traditionnelle) et le patriarche d’une famille haredim, logée dans le quartier de Gueoulah, à Jérusalem. La série nous ouvre les portes de cette communauté en vase clos, auscultant le quotidien de Shulem, de ses enfants Akiva et Giti, de leurs familles et proches. La série remet en perspective la notion pratique d’ultraorthodoxe, lorsqu’elle place en vis-à-vis la manière dont les Shtisel, contrairement à leurs voisins d’un autre quartier, Méa Shéarim, aux exigences beaucoup plus radicales, vivent leur rapport au monde. S’ouvre alors une myriade de questions absolument banales et transposables à n’importe quelle sitcom ou série dramatique (amour, mariage, amitié, réussite sociale, identité, quêtes), mais contextualisées par les préoccupations et préceptes de la communauté.

Narration méta

Les Shtisel étonne par sa normalisation et sa dramatisation d’un cadre de vie qui nous paraît lointain, aride et austère. Elle est pourtant une formidable matière anthroplogique qui questionne notre regard et notre rapport à l’altérité en observant l’un et l’autre par le prisme de l’écran. Car Les Shtisel s’avère particulièrement méta dans sa narration. Une des premières scènes de la première saison donnait le ton: lorsque Malka, la mère de Shulem, se fait installer une télé dans sa chambre de maison de retraite, celui-ci ne comprend pas pourquoi elle préfère les séries aux psaumes. Plus tard, il se rend même compte qu’à côté du nom de ses petits- enfants, sur sa liste de prière, se trouvent ceux des héros de ses émissions favorites. Cette découverte le désarme complètement et enclenche chez lui une méditation sur l’impact que des personnages imaginaires (tiens, tiens) peuvent avoir dans la vraie vie. Dans la troisième saison, la dissociation entre réel et image se fait à travers un étudiant d’une école de cinéma qui capte Shulem en train de corriger physiquement un enfant de son heder.

[la série de la semaine] Les Shitsel, une famille à Jérusalem (saison 3): méta orthodoxes
© OHAD ROMANO

Le scandale et les réflexions poussées ne sont qu’un des thèmes qui vertèbrent un scénario nourri d’une belle sentimentalité et d’une bonne dose d’humour, et questionnent la place du couple, de l’art, du deuil, de la famille. Magnifiquement interprété, Les Shtisel est une occasion de réfléchir sur les manières de montrer et rendre compte d’un lieu (système, communauté, famille, choisissez le terme qui vous convient) et des personnes qui y vivent. Sur les façons de muer une matière réaliste en création, en la délivrant sans commentaire autre que l’humour ou les sentiments qui lubrifient les relations et les échanges.

Les Shtisel, une famille à Jérusalem (saison 3)

Une série créée par Ori Elon et Yehonatan Indursky. Avec Dov Glickman, Michael Aloni, Neta Riskin. Disponible sur Netflix. ****

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