En images: portrait de 8 flamboyants artistes congolais

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Qu’est-ce qu’une conférence de presse? Habituellement, un moment interminablement ennuyeux qui oscille entre langue de bois et cirage d’ego. Ce n’est pas le cas lorsque sept artistes congolais fraîchement débarqués de Kinshasa investissent la Fondation Cartier pour présenter Congo Kitoko, un nouvel accrochage qui retrace l’art moderne et contemporain en République Démocratique du Congo depuis 1926. Leurs noms? Kiripi Katembo, Chéri Samba, Papa Mfumu’eto 1er, Steve Bandoma, Rigobert Nimi, JP Mika et Monsengo Shula. De mémoire de journaliste entré dans la profession dans les années 90, on a rarement vu débat aussi passionnant et animé.

Aujourd’hui, la création congolaise semble plus que jamais dans la ligne de mire des institutions, artistes, critiques et de tous ceux qui contribuent à édifier la scène artistique actuelle. En témoignent le pavillon belge de l’actuelle Biennale de Venise -qui met notamment à l’honneur les juxtapositions temporelles de Sammy Baloji- ou encore Odyssées africaines, récemment programmé par le BRASS.

Il est vrai que les artistes congolais n’ont pas leur pareil pour apporter fraîcheur et spontanéité dans un univers aussi cadenassé et codifié que l’art contemporain. Ils ont aussi un besoin aigu de sens et de vérité, ce qui les amène à appeler un chat un chat. « Je dois vous avouer que je n’ai jamais vu autant de journalistes pour un évènement consacré à l’art congolais« , soulève Chéri Samba non sans un soupçon d’ironie. La conférence a à peine commencé que le ton est donné. Malicieuse, la bande des sept, au sein de laquelle les opinions sont variées, n’adopte pas la position de l’autruche. Les protagonistes n’hésitent pas à pointer ce qui leur apparaît problématique dans la situation de l’art contemporain congolais. Ainsi de Steve Bandoma, qui déplore un système d’éducation aux beaux-arts « archaïque » dans un pays où « tout évolue trop lentement« . D’autres, comme Rigobert Nimi, stigmatisent l’absence d’un marché de l’art local et regrettent l’obligation d’en passer par l’Occident pour pouvoir exister. Une situation qui n’est pas sans conséquences, la plus évidente, pointée par Chéri Samba, étant que les intervenants soient obligés de défendre leur travail en français, une langue qui n’est pas la leur. Un rare consensus se dégage toutefois: tous les artistes présents appellent de leurs voeux un regard africain sur l’art africain, même si, de l’aveu de certains, celui-ci est en train de voir le jour -la Biennale de Kinshasa mise sur pied en 2014 par Kiripi Katembo étant un pas dans ce sens.

Une matière vivante

« Arrêtons l’auto-flagellation, cette spécialité congolaise« , interrompt Césarine Sinatu Bolya, responsable, avec le producteur belge Vincent Kenis, de l’excellente programmation musicale qui accompagne plusieurs oeuvres de Congo Kitoko. Elle n’a pas tort. Certes, si beaucoup de reproches peuvent être adressé au Congo, comme à tant d’autres pays, l’exposition à laquelle la Fondation Cartier a prêté ses moyens et sa caisse de résonance est une occasion unique de se frotter à une inventivité jubilatoire et un imaginaire puissant. Autant en profiter pour regarder le bon côté des choses.

La pertinence et les raisons de l’actuel succès de l’art contemporain congolais se lisent en filigrane de cette présentation opérée par les artistes congolais venus à Paris pour assurer la promotion de l’évènement. Ce qui frappe par rapport au système tel qu’on le connaît, c’est l’absence de culte de la personnalité. Tous les artistes présents évoquent un « don », une qualité innée dont ils ne seraient que les humbles dépositaires. Monsengo Shula cerne parfaitement la question en invoquant « les quatre vents cosmiques qui soufflent sur mon inspiration« , manière de dire que l’art est quelque chose dépassant de loin celui qui possède « par une façon de hasard » le privilège de l’exprimer. Il y a aussi cette volonté de débattre, de dialoguer. Les intéressés ont beau avoir des avis différents sur le programme esthétique congolais, ils n’hésitent pas à les exprimer et à les soumettre à la contradiction. Cette attitude contribue à faire de la création une matière vivante plutôt qu’un objet de consommation mort que l’on achète de façon compulsive.

« L’art congolais m’a permis de me libérer des schémas dans lesquels j’étais coincé… En Occident, nous sommes menacés de mourir d’un rétrécissement de l’émerveillement, nous pensons qu’il n’est pas besoin d’en connaître davantage. C’est une erreur. Congo Kitoko se découvre comme une incroyable foire aux trésors. Le Congo est une forge insensée de formes reposant sur une économie de moyens drastiques. Pour qui sait regarder, il y a ici l’équivalent d’une oeuvre comme celle de Matisse« , explique André Magnin, commissaire général de l’exposition qui a consacré 30 années de son existence aux plasticiens congolais. A ce titre, on notera que le mot « Kitoko » -qui pour le besoin de l’évènement a été traduit assez platement par « Beauté » en français- doit se comprendre comme une sorte de « Waouw! » qui évoquerait « l’envie de lever les mains au ciel » face à tout « le génie, la folie, l’inventivité, la diversité » de l’art congolais depuis 1926.

Pour Pierre Loos, collectionneur, galeriste et auteur spécialiste du Congo, l’exposition de la Fondation Cartier est à comprendre comme « un grand jour pour l’art congolais » en raison de la vitrine internationale offerte par l’institution privée, même s’il est clair que d’autres tentatives, certes plus modestes, ont eu lieu par le passé.

Reflets du Congo

Au total, Congo Kitoko fait place à 350 oeuvres flamboyantes signées par 41 artistes différents. Cet aperçu, s’étendant de 1926 à 2015, est remarquable en ce qu’il dissipe le malentendu qui consiste à penser que rien ne s’est passé artistiquement entre la période dite « des arts premiers », qu’André Magnin préfère qualifier de « classique », et l’ère postcoloniale. Ce « vide » est comblé par une série de précurseurs tels qu’Albert et Antoinette Lubaki -seule femme reprise dans le parcours- qui ont écrit les « prémices de l’art moderne congolais » par le biais d’une oeuvre mi-abstraite, mi-figurative puisant son inspiration dans la nature, les rêves et la vie quotidienne. L’autre grande réussite de l’évènement est formulée par le romancier Jean Bofane, dont l’oeuvre est publiée chez Actes Sud: « Au-delà de tous les clichés qui vont bon train sur une nation en guerre depuis 20 ans, cette exposition permet d’entrevoir le vrai visage du pays, son dynamisme, sa résilience. Les Belges n’ont rien laissé en matière de culture quand ils ont quitté le Congo, il ne restait que 26 universitaires… Il n’y a pas eu d’empreinte culturelle. Toute la grandeur des artistes présents dans cette exposition réside donc dans le fait de s’être construits à partir de rien, de ne tenir leur être que d’eux-mêmes. Comble de tout, ils n’en tirent aucune fierté, ils ne se considèrent que comme des médiums, des passeurs congolais d’une émotion, pour le coup, universelle. »

Au total, Congo Kitoko fait place à 350 oeuvres flamboyantes signées par 41 artistes différents. Cet aperçu, s’étendant de 1926 à 2015, est remarquable en ce qu’il dissipe le malentendu qui consiste à penser que rien ne s’est passé artistiquement entre la période dite « des arts premiers », qu’André Magnin préfère qualifier de « classique », et l’ère postcoloniale. Ce « vide » est comblé par une série de précurseurs tels qu’Albert et Antoinette Lubaki -seule femme reprise dans le parcours- qui ont écrit les « prémices de l’art moderne congolais » par le biais d’une oeuvre mi-abstraite, mi-figurative puisant son inspiration dans la nature, les rêves et la vie quotidienne. L’autre grande réussite de l’événement est formulée par le romancier Jean Bofane, dont l’oeuvre est publiée chez Actes Sud: »Au-delà de tous les clichés qui vont bon train sur une nation en guerre depuis 20 ans, cette exposition permet d’entrevoir le vrai visage du pays, son dynamisme, sa résilience. Les Belges n’ont rien laissé en matière de culture quand ils ont quitté le Congo, il ne restait que 26 universitaires… Il n’y a pas eu d’empreinte culturelle. Toute la grandeur des artistes présents dans cette exposition réside donc dans le fait de s’être construits à partir de rien, de ne tenir leur être que d’eux-mêmes. Comble de tout, ils n’en tirent aucune fierté, ils ne se considèrent que comme des médiums, des passeurs congolais d’une émotion, pour le coup, universelle. »

CONGO KITOKO, FONDATION CARTIER, 261, BOULEVARD RASPAIL, À 75 014 PARIS. WWW.FONDATION.CARTIER.COM JUSQU’AU 15/11.

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