Daba Maroc: Maroc on stage

© Dimitri Tsiapkinis
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Le plat pays s’immerge dans l’art marocain: expos, ciné, musique, danse, théâtre, littérature et politique. Un Daba Maroc pour tous, melting-pot à deux faces entre tradition et modernité, populaire et contemporain, artistes d’ici et là-bas…

Initié par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Daba Maroc (Le Maroc, maintenant) est un festival conçu par Fabienne Verstraeten, directrice des Halles de Schaerbeek, engagée depuis quelques saisons sur « les mondes arabes ». Au menu, il s’agit d’« inviter les pratiques artistiques contemporaines du Maroc en regard de la création issue de l’immigration ». Résultat: plus de 150 artistes, quelque 60 projets et plus de trois mois de festivités à travers la Belgique. L’ouverture annonce la couleur. Une officielle avec voix féminines et chants traditionnels et une populaire, orchestrée par Mohamed Ouachen, qui a drainé un public métissé, dévoilant le talent du chanteur Mohamed Mesbahi et du slameur Youness Mernissi. Daba Maroc brasse large, visant différents publics: « La Caravane du livre » porte livres et rencontres dans des territoires inconnus, « Itinérances » mélange des conteurs d’ici et de là-bas, et le « Dabatheater » de Rabat installe son théâtre-action sur notre actualité. Si Daba Maroc s’était limité au contemporain, on lui aurait reproché son « élitisme ». La scène plastique émergente, les écrivains de langue française, la danse contemporaine, c’est pour qui?

La danse/combat

La danse contemporaine, au Maroc, montre que « la culture élitiste pour tous  » est un idéal sans frontières. Pionnier du genre, la biennale On Marche, créée en 2005 à Marrakech par les chorégraphes-danseurs Taoufiq Izeddiou, Saïd Ait El Moumen et Bouchra Ouizguen, tous aujourd’hui invités dans Daba Maroc. Cette année-là, ils ont installé de la danse contemporaine sur la place Jamaâ El Fna. Et si les Marocains attroupés ne pigeaient pas grand-chose du duo abstrait présenté cet après-midi-là, ils regardaient jusqu’au bout. Taoufiq Izeddiou résumait alors son aventure: « Les workshops de l’Institut Français nous ont formés et nous sommes programmés à Montpellier-Danse. Mais ça veut dire quoi, la danse ici? Avec nos trois tabous que sont la nudité, Dieu et le Roi? Il fallait réfléchir à partir d’ici. Nous organisons des laboratoires où viennent des fans de Shakira ou Michael Jackson, et nous essayons ensuite de les mener vers la danse contemporaine. Organiser ce festival? C’était une « folie » nourrie de nos expériences de tournées. On a rencontré des pratiques chorégraphiques incroyables au Japon, dans l’Est européen, en Turquie ou en Afrique noire, qui a 20 ans d’avance sur nous. Ces chorégraphes rencontrés en tournée viennent aujourd’hui quasi gratuitement au festival pour soutenir notre danse contemporaine. C’est de la débrouille, épuisante, mais ‘On Marche’. »

Dans le cadre du Daba Maroc, Izeddiou présentera Aaleef (Je tourne) où il danse, en tension à peine retenue, son identité mouvante, tantôt compulsif, tantôt funky, avec un musicien de guembri (« guitare » Gnawa). En réaction aux « Printemps arabes », il dévoilera son nouveau projet Rêv-illusion, hommage à la danse sur l’individu emporté par la masse. Il nous dit: « Je taperai le sol avec mes chaussures de militaire en or et je me transformerai en Tina Turner, Malcom X, Prince… » Autre phare du festival, Bouchra Ouizguen, qui frappera trois coups dans Daba avec Madame Plaza, un tube où elle danse avec trois Aïtas (chanteuses populaires de cabaret « miteux »). Elle présentera ensuite sa dernière création, Voyage Cola, avec Alain Buffard, un solo traversant son identité chorégraphique, venue de la danse orientale, et aussi une carte blanche avec le jeune écrivain Abdellah Taïa. Quant au danseur Saïd Ait El Moumen, il présentera Athar sur les dualités identitaires et une série de solos dans Un mètre carré, référence au manque d’espace de la danse contemporaine au Maroc, obligée de squatter des appartements.

Arts plastiques: l’éveil

Autre volet du programme: le boom des arts plastiques, avec des artistes formés au Maroc ou en France, circulant depuis une dizaine d’années sur la scène internationale. Tandis que le B.P.S. 22 de Charleroi présente Intranquillités (lire le Focus Vif du 12 octobre), Bozar présente ce week-end deux plasticiens du Maroc, Hassan Darsi, sculpteur interventionniste dans l’espace urbain, et Faouzi Laatris, qui joue à décaler les objets et les signes. Plus expérimental, le mois prochain, La Centrale Electrique présentera Travail, mode d’emploi: art sonore, performances et installations. Enfin, Daba prévoit des rencontres littéraires et politiques, chères à la commissaire Fabienne Verstraeten: un colloque « art et politique  » et quelques écrivains d’aujourd’hui: Abdellah Taïa, Mohamed Hmoudane, Fouad Laroui,… dans un programme « Conversation avec des écrivains absents »: Driss Chraïbi, Mohamed Choukri, Mohamed Lefta. Daba, c’est une programmation dense à découvrir au fil des mois, avec cependant deux regrets de départ: l’absence de cirque contemporain (comme les Taoub de Tanger) et d’une bonne affiche musicale. A part un week-end passé en Expressions urbaines (Muslim, Moby Dick…), c’est le désert du ma-rock. On aurait apprécié des soirées-cartes blanches « B-Rock » et « L’Boulvart » ou « Boultek », des lieux de la contre-culture à Casablanca et ses musiques urbaines, fusion, rock/metal, reggae, hip hop, électro. Et des groupes comme Rebon (metal), Hoba Hoba Spirit (fusion rap), H-Kayne (Rap), Fnaïre, Don Bigg, LooNope (rap psychédélique), The Peppermint Candy (Indie rock), etc. etc. Daba Maroc est si vaste qu’il ne pourra contenter tout le monde. Ça fait partie du partage des deux rives…

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