Critique théâtre : Le crépuscule des stars

Sunset Boulevard. © Grégory Navarra
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Franche réussite que cette création mondiale en français de la comédie musicale Sunset Boulevard. Pas à Paris, pas à Montréal, mais à Molenbeek, dans le cadre du festival Bruxellons!

Les spectacles musicaux ont le vent en poupe. Après le succès de L’Attentat -quatre musiciens et une chanteuse autour d’Atta Nasser -, avant une rentrée où brilleront Sylvia -la vie de la poétesse Sylvia Plath sur la musique d’An Pierlé en quartet- au Théâtre National et L’Homme de la Mancha -la recréation de la comédie musicale menée par Jacques Brel dans le rôle de Don Quixote- au KVS et alors qu’on vient d’annoncer une version de West Side Story sur une nouvelle chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker et mise en scène par Ivo Van Hove à Braodway fin 2019, voici que Bruxelles héberge la création mondiale en français de Sunset Boulevard, dans le contexte enchanteur du château du Karreveld.

C’est la troisième fois que le festival Bruxellons! mise sur une comédie musicale pour sa tête d’affiche en production propre, après La Mélodie du bonheur et Evita (et avant My Fair Lady, annoncé pour 2019). Et pour célébrer les 20 ans du festival, l’équipe a mis les petits plats dans les grands. Sur un gigantesque plateau à deux niveaux dont les panneaux coulissants permettent d’efficaces changements de décors, ce pas moins de 22 comédiens-danseurs-chanteurs qui retracent, en flash-back, les dernières années de Joe Gillis, mort tragiquement dans le jardin d’une villa somptueuse sur Sunset Boulevard, à Los Angeles. Pour tenir le rôle incarné par William Holden dans le film de Billy Wilder (1950) dont la comédie musicale est l’adaptation, Gaétan Borg est parfait. Ce Français qui a également signé à Paris (avec Stéphane Laporte) sa propre comédie musicale, 31, mise en scène par Virginie Lemoine, défend avec aisance ce personnage de scénariste endetté pris dans les serres de Norma Desmond, une ancienne gloire du cinéma muet. Cette dernière est portée par la chanteuse et comédienne flamande habituée des musicals Anne Mie Gils, réussissant ici l’exploit de chanter et jouer pour la première fois en français, qui plus est dans un rôle particulièrement casse-gueule, entre mégalomanie aveugle et détresse pétrie de solitude. A peine décèle-t-on de temps à autre une pointe d’accent néerlandophone, ce qui arrivera aussi chez Oonagh Jacobs, dans le rôle de la jeune Betty, et pour une partie de l’ensemble, majoritairement flamand (le vivier pour la comédie musicale se résumant plus au moins au néant en Fédération Wallonie-Bruxelles).

Boulevard du Crépuscule

« Quand on est fier, on ne vit pas ici », déclare Betty. Sunset Boulevard a été le premier film à présenter la face sombre d’Hollywood. Un univers sans pitié, rempli d’hypocrites. Un bassin rempli de requins est moins cruel. Hollywood a fait de Norma Desmond une star adulée, puis l’a jetée, passée de mode quand le cinéma est devenu parlant. Mais Norma, sans enfant et donc sans autre horizon de postérité que par sa gloire, entretient au quotidien l’illusion de sa célébrité. Elle est tournée vers le passé, comme tous les films nommés ici : Samson et Dalila, de Cecil B. DeMille (qui tenait son propre rôle dans le film), Salomé, La Passion de Jeanne La Sainte. C’est l’un des thèmes de cette histoire de crépuscules, qui parle autant du refus de vieillir que de la dictature des apparences et des choix à faire entre raison et sentiments.

Riche, prodigue en rebondissements -notamment autour du personnage de Max, le mystérieux majordome impeccablement endossé par Franck Vincent-, Sunset Boulevard déborde aussi de « grand spectacle », avec des scènes étourdissantes, calées au millimètre près. De la poursuite en voitures initiale au relooking de Joe, la mise en scène de Jack Cooper et Simon Paco révèle sans cesse son inventivité, équilibrant aussi adroitement tableaux de groupe et scènes intimistes tout en laissant le chant à l’avant-plan. Un chant soutenu par un orchestre d’une vingtaine de musiciens, jouant en live mais malheureusement invisibles pour être à l’abri en cas de pluie. C’est là le seul bémol du spectacle : la musique composée par Andrew Lloyd Webber passe par les hauts-parleurs alors que l’effectif est présent sur place. Pour le reste, ce Sunset Boulevard offre une soirée délicieuse, à apprécier avec une petite couverture sur les genoux, sous les étoiles, quand le vrai crépuscule sera arrivé.

Sunset Boulevard : Jusqu’au 31 août au château du Karreveld à Bruxelles, dans le cadre du festival Bruxellons!

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