[Critique scènes] Vandekeybus sur écran

Draw From Within, de Wim Vandekeybus © Camilla Greenwell
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Depuis Londres, le chorégraphe Wim Vandekeybus tentait pour la première fois une performance filmée en direct et visible en temps réel en live streaming. Draw From Within est une vraie prouesse technique, qui se heurte néanmoins à certains obstacles.

On avait déjà vu ça « en vrai »: un tournage qui se déroule en temps réel devant nos yeux, et dont le résultat est projeté directement sur grand écran surplombant la scène. Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael en ont réalisé des versions « nanodansées » dans Kiss & Cry et Cold Blood; Anne-Cécile Vandalem a traqué avec des caméras les secrets d’un village insulaire dans Tristesses; FC Bergman a adapté le roman réputé inadaptable JR dans une tour de quatre étages et autant de faces. Autant de « spectacles » complètement bluffants et enthousiasmants.

Au temps du Covid, le chorégraphe Wim Vandekeybus reprend le procédé, mais sans public direct, seulement avec des spectateurs connectés. Dansé au Rambert Home Studio à Londres (base de la plus ancienne compagnie de danse britannique toujours en activité), Draw From Within était programmé à trois reprises, les 24, 25 et 27 septembre, à des heures différentes (13h, 21h et 2h du matin) pour que les spectateurs de chaque fuseau horaire y trouvent leur compte.

Draw From Within, de Wim Vandekeybus
Draw From Within, de Wim Vandekeybus© Camilla Greenwell

Une fois enregistré et armé de son ticket virtuel, on accède à la diffusion live. Et c’est donc, concrètement, un film qui se déroule devant nos yeux. Dès les premières images, il est manifeste que Vandekeybus a injecté dans le projet sa maîtrise de la réalisation, lui qui a déjà signé une série de courts métrages et des longs comme Monkey Sandwich (2011) et Galloping Mind (2015). Cadrages étudiés qui ne font pas l’impasse sur les plans serrés, transitions et sens du timing: le montage en direct impressionne par sa qualité et les danseurs assurent parfaitement leur partition en tenant compte des mouvements de caméras. Sur la musique du compatriote Daan et de Marc Ribot, du trompettiste roumain Constantin Gherghina ou sur Dance of the Falcon du Bulgare Ivo Papazov, on joue avec les flammes et la fumée, on assiste à un show télévisé qui suit la vie d’un garçon en accéléré depuis sa spectaculaire naissance, on cauchemarde dans un couloir d’hôpital tout à fait glauque. Dans une des plus belles séquences, les danseurs évoluent au milieu de câbles tendus, toile d’araignée mouvante qui contraint les trajectoires. Dans tout cela, la caméra profite de ce qu’elle peut fragmenter l’espace du studio pour passer d’une ambiance à une autre, comme dans un vrai tournage qui se serait étalé sur plusieurs semaines, sur plusieurs lieux.

Une vraie prouesse technique donc. Mais paradoxalement, puisque ses ficelles ne sont pas visibles pour le spectateur, une partie de la magie de l’illusion en train de se faire disparaît, celle qui faisait justement le charme des spectacles susmentionnés. Autres écueils: le côté complètement désincarné de l’expérience et la solitude obligatoire du regardeur, qui ne peut que croire « sur parole » que d’autres, ailleurs, constituent simultanément avec lui un public. Reste que cette expérimentation technologique (par ailleurs marquée par un couac technique) ouvre de nouvelles possibilités pour des spectacles « en mondiovision », un futur des arts vivants où chacun pourrait avoir accès à tout, partout, sans déplacements polluants et à un prix accessible.

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