Critique scènes : Deux pour le prix d’une

© Christophe Raynaud de Lage
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Par la bouche de Romain Daroles, François Gremaud déclare son amour à Phèdre, le chef-d’oeuvre racinien. Et d’un point d’exclamation, la tragédie se transforme en comédie. Une petite perle.

Phèdre !, c’est deux pièces en une. Ou plutôt, une pièce dans une autre, un enchâssement, une poupée russe. De l’aveu même de son auteur, le Suisse formé chez nous à l’Insas François Gremaud, c’est plus exactement un « cheval de Troie », créé avec la volonté de « partir d’un texte classique du programme scolaire pour amener dans l’école une forme théâtrale contemporaine ». Ce qui explique sa forme dépouillée, basée sur une table (qui pourrait même être le bureau du prof, en cas de spectacle en classe) et un livre, capable de voyager facilement partout. Mais le « piège » inspiré par Ulysse fonctionne aussi dans l’autre sens : aux fanatiques du théâtre contemporain, il donnera envie de se replonger dans les vers classiques livrés pour la première fois au public en 1677.

La mission confiée à Romain Daroles, qui déboule de la salle en jeans et t-shirt blanc, est multiple et périlleuse : jouer seul la tragédie de Racine en en faisant tantôt résonner le texte à la lettre, tantôt en résumant un brin l’action ; lui donner son contexte pour la rendre parfaitement intelligible ; prendre de la distance avec l’oeuvre pour susciter les rires de la comédie sans briser le respect et l’admiration pour ce pilier du répertoire tragique.

Le comédien s’acquitte de tout cela les doigts dans le nez, se servant d’un livre comme identifiant des différents protagonistes (la mèche d’Hippolyte, la barbe de Théramène…), décortiquant allègrement les alexandrins et pimentant l’intrigue de références populaires. Ici, OEnone a l’accent du Sud et Thésée une dégaine à la De Niro, on épingle des tubes de Clo-Clo, Gainsbourg, Dalida, Barbara ou encore Fernandel et l’on épuise à peu près tous les jeux de mots possibles sur la mythologie grecque, autour de Médée, Thésée, Ariane, Aricie, Egée et la Colchide.

Comble du comble, Gremaud parvient au final à tripler la mise en abyme, à la façon d’un Pirandello. Et le public de rester bouche bée au bout de ces 100 minutes menées à un train d’enfer. Formidable.

Phèdre !: jusqu’au 20 février au 140 à Bruxelles, et la saison prochaine (scoop !), les 23 et 24 janvier 2021 au Palais des Beaux-Arts de Charleroi.

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