Critique

[Critique ciné] 99 Homes, l’associé du Diable

Andrew Garfield et Michael Shannon dans 99 Homes de Ramin Bahrani. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

DRAME/THRILLER | Variation ultra contemporaine sur le mythe de Faust dans une Amérique moralement déboussolée par la crise des subprimes.

Michael Shannon raconte avoir voulu travailler avec Ramin Bahrani à l’instant où il a découvert son Plastic Bag de 2009, court métrage peu banal faisant le récit du voyage existentiel d’un sac en plastique balloté au gré des vents et marées à la surface d’un monde étrange partagé entre absolue beauté et pure désolation. Une nature résolument schizophrène qui renvoie, et pour cause, à celle de la Floride, terre de tous les contrastes servant aujourd’hui de cadre à 99 Homes, son cinquième long métrage. Sous le soleil radieux d’Orlando, Shannon y campe Rick Carver, promoteur cupide passé professionnel de l’éviction suite à l’explosion de la bulle immobilière, expulsant les propriétaires insolvables pour le compte des banques, qu’il arnaque au passage, avant de toucher une commission sur la revente des maisons dévaluées. « L’Amérique s’est construite en misant sur les gagnants« , se plaît-il à répéter. En ce sens, Carver est davantage envisagé comme le produit dégénéré d’un système pourri jusqu’à la moelle que comme le Mal en personne. C’est pourtant un pacte d’ordre quasi faustien qui liera bientôt Dennis Nash (Andrew Garfield), jeune père exproprié et fauché noyé dans son ultra moderne solitude, à celui-ci…

La loi du plus fort

Imprégnant son indéfectible réalisme social d’une tension digne d’un véritable thriller, Ramin Bahrani (Man Push Cart, Chop Shop, Goodbye Solo) reste fidèle au motto de son cinéma: donner la parole à la majorité silencieuse, victime d’une réalité économique broyeuse de vies. Forte d’un sujet percutant -une Amérique gangrénée par la crise des subprimes- et emmenée par un solide trio d’acteurs (Garfield et Shannon, donc, mais aussi Laura Dern), cette plongée en apnée au coeur de la réalité sordide des saisies immobilières en Floride adopte la forme d’une fable morale, empruntant aussi bien à la symbolique biblique qu’à la grande manne mythologique.

« Qu’est-ce que le gouvernement a jamais fait pour moi? L’Etat et les banques sont-ils vraiment là pour défendre nos intérêts ou ne font-il que se soutenir entre eux pour sauvegarder leurs privilèges? » Poser la question, c’est déjà quelque part y répondre… Puisque l’honnêteté et la bienveillance ne paient pas, tout, mais surtout n’importe quoi, semble devoir trouver sa légitimité dans la recherche de la réussite et du profit: cinglant constat de cette odyssée mentale marquée du sceau de la violence capitaliste et construite comme une boucle absurde. Fort, intelligent et sensible, malgré un final sans doute un poil trop littéral.

DE RAMIN BAHRANI. AVEC ANDREW GARFIELD, MICHAEL SHANNON, LAURA DERN. 1H52. SORTIE: 27/04.

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