Trois expositions estivales explorent l’histoire et deux mythes du Septième art. Visite guidée.

Si l’on doit aux frères Lumière l’invention du cinématographe, doublée de celle du cinéma-vérité, la paternité du cinéma-spectacle revient, elle, à Georges Méliès (1861-1938), un artiste préfigurant en quelque sorte les Lucas et Spielberg d’aujourd’hui. Judicieusement intitulée Georges Méliès, magicien du cinéma, l’exposition que lui consacre pour l’heure la Cinémathèque française (et que prolonge un catalogue raisonné de son oeuvre) est assurément l’introduction idéale à l’univers d’un artiste multiple – nul hasard, sans doute, si l’un de ses innombrables films (on lui en attribue plus de 500, tournés entre 1896 et 1912), s’intitulait L’homme-orchestre.

LE CABINET HéTéROCLITE DE MéLIèS

Illusionniste, magicien, décorateur, génie des effets spéciaux, auteur, réalisateur, Georges Méliès était en effet tout cela (et beaucoup d’autres choses encore) à la fois – parcours que tente de restituer cette exposition en trois étapes distinctes. Respectant la chronologie, le premier ensemble s’attache plus particulièrement à la période qui le voit s’essayer (avec succès) à la magie – Méliès a racheté le théâtre de Robert-Houdin, où il monte des saynètes annonçant ses films à trucs – et au cinéma encore balbutiant. Après tout, et suivant la formule du philosophe Edgar Morin, Méliès n’est-il pas « ce prestidigitateur qui mit le cinématographe dans un chapeau pour en faire sortir le cinéma »?

Aux côtés d’objets hétéroclites (dont son premier projecteur, qu’il eut tôt fait de transformer en caméra), quelques courts métrages ( Le cake-walk infernal, Le mélomane) permettent de mieux prendre la mesure de son inventivité et de son génie proprement visionnaire. Visionnaire, encore, la structure de production dont se dote rapidement Méliès – objet de la seconde partie de la visite. A Montreuil, il construit, dès 1897, d’imposants studios vitrés, premier équipement de ce type réalisé uniquement pour la prise de vues cinématographiques – studios joliment reconstitués ici, tant à l’état de maquette que virtuellement. C’est là que Méliès élaborera ses fantasmagories filmées, jusqu’à La Conquête du Pôle, la plus aboutie de ses aventures fantastiques.

La dernière partie de l’exposition s’attarde sur ce pan de sa production, dont Le voyage dans la lune reste, sans aucun doute, l’£uvre la plus emblématique. Maquettes, dessins, affiches, costumes et documents divers (ainsi d’une réponse manuscrite de 4 pages aux questions de l’historien du cinéma Meritt Crawford) plongent le visiteur au c£ur d’un univers dégageant l’enivrant parfum des voyages imaginaires chers aussi à Jules Verne.

Singulier, féerique, débridé, le monde magique de Georges Méliès ne survivra pas à la mutation du cinéma en industrie, l’artiste devenant… marchand de jouets à la gare Montparnasse, avant de mourir dans une maison de repos de gens du cinéma, à Orly. La postérité ne l’a cependant pas oublié, puisque de Tim Burton à Terry Gilliam, ils sont nombreux à se réclamer de son extravagance, à moins qu’il ne faille parler d’extra-voyance, dont on a ici un appréciable avant-goût…

MYTHOLOGIE BONDIENNE

De l’histoire au mythe, il n’y a qu’un pas, et le centenaire de l’écrivain Ian Fleming, « père » de James Bond, nous vaut, à l’Imperial War Museum de Londres, une passionnante plongée au coeur de son univers. Retraçant la vie de l’auteur, l’exposition For Your Eyes Only alimente aussi inévitablement la biographie de Bond, non sans resituer son action dans une perspective historique. Les plus fétichistes des cinéphiles y trouveront par ailleurs chaussure à leur pied – à l’instar de la paire portée par Rosa Klebb dans From Russia with Love, l’un des accessoires que l’on peut découvrir ici.

Issu d’un milieu aisé, ayant étudié à Eton (où il excellait surtout dans les matières… sportives), Ian Fleming tâte du journalisme chez Reuters avant d’intégrer, pendant la Seconde Guerre mondiale, les services secrets de la marine britannique. Autant d’éléments biographiques qui nourriront les aventures du personnage qu’il imagine en 1952 dans sa retraite jamaïcaine, ce James Bond dont il emprunte le patronyme à un ornithologue américain. Et avec qui il a plus d’un trait en commun, de la passion du jeu à celle des jolies femmes, en passant par la disparition prématurée du père – toutes considérations étayées par les innombrables documents et objets personnels rassemblés à l’Imperial War Museum.

Bond sera évidemment la grande affaire de Fleming: si la première édition de Casino Royale, en 1952, ne s’écoule qu’à 4 700 exemplaires, 007 réunit quelque 4 millions de lecteurs 12 ans plus tard, à la mort du romancier. Parmi d’autres considérations, ce dernier avait certes veillé à flatter l’orgueil national, donnant, par agent secret interposé, un rôle prééminent à la Grande-Bretagne sur l’échiquier géopolitique international. Plus guère en phase, en tout état de cause, avec la réalité de la Guerre froide, qui faisait dire à l’auteur: « Nous avons gagné la guerre, mais perdu la paix. » La popularité de Bond dépassera cependant allègrement les frontières des Iles, amenant Albert Broccoli à en acquérir, en 1961, les droits d’adaptation à l’écran – opération dont le succès ne s’est jamais démenti à ce jour, le phénomène de libraire devenant mythe cinématographique.

Ce filon, l’exposition ne se fait faute de joliment l’exploiter: de la recette du Dry Martini à la panoplie du parfait espion, sans parler d’un ingénieux planisphère également mis à sa disposition, le « bondmaniaque » évolue ici en territoire à la fois exotique et familier. For Your Eyes Only a d’ailleurs par moments des allures d’inventaire de la mythologie bondienne, alignant encore comme à la parade vilains et Bond Girls, bikini de Halle Berry ( Die Another Day) et rétroviseur à fléchettes ( Live and Let Die). Sans oublier, évidemment, l’Aston Martin de Goldfinger, sans quoi Bond ne serait pas tout à fait Bond.

L’INALTéRABLE GRACE KELLY

Qui dit Bond pense, accessoirement, glamour, dimension clé de l’exposition Les années Grace Kelly – Princesse de Monaco qu’accueille l’Hôtel de Ville de Paris. « La Princesse Grace nous a laissé l’image d’une élégance inaltérable. On peut n’avoir vu aucun de ses films, n’avoir jamais visité la Principauté de Monaco, cette image demeure présente dans tous les esprits comme une réponse à la dureté du monde dans lequel nous vivons », écrit le commissaire Frédéric Mitterrand. Raffinement et distinction sont donc au coeur d’une manifestation célébrant une personnalité au destin hors du commun; comédienne d’exception et bientôt princesse, en une extension moderne des contes de fées qui connaîtra malheureusement une fin tragique.

De l’enfance dans une famille d’entrepreneurs aisée de Philadelphie, à la vie princière sur les hauteurs du Rocher de Monaco, le dispositif, scénographié avec goût et s’appuyant sur de nombreuses archives personnelles, conduit le visiteur au gré des étapes charnières de la vie de Grace Kelly. Parmi celles-là, New York, dans les années 40, où elle se produit sur scène et officie comme mannequin – les premiers d’une longue série de portraits qui, signés des photographes les plus prestigieux, illuminent l’exposition. Et ensuite Hollywood, où une poignée de films – onze, à peine! – suffit à faire d’elle un mythe éternel du Septième art. High Noon, Mogambo (où son charme exquis détourne un temps Clark Gable d’Ava Gardner!) ou The Country Girl (qui lui vaudra un Oscar en 1955) ne sont naturellement pas étrangers à cet éclat. Rear Window, Dial M for Murder et To Catch a Thief, les trois films qu’elle tourne avec Alfred Hitchcock, viendront encore l’attiser, tant il est vrai que sa blonde beauté rayonne dans ce qui reste comme l’une des périodes les plus fécondes du cinéaste. Hitch voyait du reste en elle son interprète idéale, comme en atteste leur abondante correspondance, que l’on peut découvrir ici parmi d’autres souvenirs de la comédienne.

La suite appartient à l’histoire, qui verra Grace Kelly délaisser les plateaux de cinéma pour la principauté de Monaco. L’essentiel de l’exposition couvre cette période, alignant, dans un déploiement du plus bel effet, robes dessinées par les plus grands, bijoux et accessoires de mode – ainsi, par exemple, du sac Kelly qu’elle inspira à Hermès. Non sans ménager l’une ou l’autre ouverture vers l’envers du décor – ainsi de petits films de famille tournés par la Princesse elle-même, ajoutant à celle de la personnalité publique l’image de la maman. Résolument moderne, en somme. Mais néanmoins glamour, toujours…

Georges Méliès, magicien du cinéma. Jusqu’au 31/12, à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris

www.cinematheque.fr

For Your Eyes Only. Jusqu’au 01/03 2009, Imperial War Museum, Lambeth Road, Londres.

http://london.iwm.org.uk

Les années Grace Kelly – Princesse de Monaco. Jusqu’au 16/8, à l’Hôtel de Ville de Paris, 5 rue Lobau, Paris

www.paris.fr

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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