Tokyo Detective: la plongée de Jake Adelstein dans le Japon post-Fukushima

Jake Adelstein, journaliste inflitré et inspiré. © chloe vollmer
Philippe Manche Journaliste

Sept ans après Tokyo Vice, le journaliste américain Jake Adelstein publie Tokyo Detective, récit plus lumineux et tout aussi prenant où il est surtout question de criminalité en col blanc et d’un Japon post-Fukushima.

Avec 100 000 d’exemplaires vendus de Tokyo Vice, premier ouvrage de la collection de non fiction Marchialy, Jake Adelstein, depuis auteur maison, s’impose en Belgique et en France. Sa plongée à travers son métier –il est le premier occidental à intégrer la rédaction d’un quotidien tokyoïte, le Yomiuri Shibun, à 24 ans– propose un regard inédit sur le monde ultra codé des yakuzas. S’ensuit Le Dernier des yakuzas (2017), J’ai vendu mon âme en bitcoins (2019), une adaptation de Tokyo Vice en série télé pour HBO produite par Michael Mann qui signe la réalisation du premier épisode et un podcast The Evapored: Gone with the Gods sur des cas de disparitions non résolus.

Pour chacun de mes livres, j’essaie de garder en tête une espèce d’innocence et de naïveté.

Dans Tokyo Detective, Jake Adelstein réalise à la demande de clients évoluant dans les hautes sphères économiques et commerciales des audits afin de vérifier si les entreprises dans lesquelles elles pourraient investir ne sont pas gangrenées par des criminels en col blanc. L’auteur de 54 ans devenu moine zen et qui vit toujours à Tokyo évoque aussi son cancer, dont il prend connaissance le jour de la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011, ainsi que l’énorme scandale de la Tokyo Electric Power Company, qui savait très bien qu’un tremblement de terre allait être fatal à la centrale nucléaire. Et c’est absolument passionnant et sidérant de bout en bout.

Bien que vos livres contiennent des éléments de true crime, vous évoluez dans la non fiction et ce qu’on appelle aussi le nouveau journalisme narratif. Vous sentez-vous plus proche de quelqu’un comme Norman Mailer ou de Hunter S. Thompson?

Ce qui est valable pour chacun de mes livres, c’est que j’essaie de garder en tête cette espèce d’innocence et de naïveté que j’avais avant de prendre connaissance de faits précis et racontés. La seule façon de bien écrire un livre comme Tokyo Vice, d’impliquer le lecteur dès le début, c’est d’imaginer que je raconte une histoire à un vieux pote sur base de mes notes, de ma mémoire, de photos et d’entretiens conduits avec différentes personnes. C’est primordial pour ce genre de non fiction narrative. D’où l’utilisation de la première personne. J’adore Raymond Chandler pour la façon dont il structure sa narration et aussi parce qu’il écrit lui aussi à la première personne.

Tokyo Detective **** de Jake Adelstein, éditions Marchialy, traduit de l’anglais (États-Unis) par Doug Headline, 400 pages.
Tokyo Detective **** de Jake Adelstein, éditions Marchialy, traduit de l’anglais (États-Unis) par Doug Headline, 400 pages. © National

Avec Le Dernier des yakuzas, c’est différent parce que j’utilise la troisième personne et c’est un peu plus compliqué. Disons que les références que j’avais là en tête étaient Ernest Hemingway et Lawrence Block. Je pense surtout qu’avoir lu énormément pendant ma jeunesse m’est encore précieux aujourd’hui. Et toutes les astuces sont utiles. J’ai beaucoup lu John le Carré et même si je ne comprenais pas tout -je devais avoir 10 ans quand j’ai lu L’espion qui venait du froid-, j’adorais parce que l’histoire est basée sur des faits réels. Par contre, l’aspect romantique m’était étranger. Je ne comprenais pas pourquoi la femme de George Smiley (l’espion britannique, NDLR) le trompait à tire-larigot. J’ai lu aussi pas mal de Frederick Forsyth: Le Jour du chacal, Le Quatrième protocole…

Et pour J’ai vendu mon âme en bitcoins?

C’était encore une autre affaire. Je voulais un récit ultra sec et écrit à la troisième personne parce que je n’étais pas impliqué, j’étais juste un observateur. C’est Cyril Gay, mon éditeur, qui m’a fait prendre conscience que je n’étais pas si impartial que ça et m’a suggéré l’utilisation de la première personne. J’avoue que l’humeur informative et sarcastique à ce petit quelque chose de Hunter S. Thompson période Hell’s Angels, sauf que je ne prends pas de drogues (rires).

Vous êtes bien placé pour savoir que la presse papier est en crise. C’est pour cette raison que vous avez travaillé sur votre podcast The Evaporated?

Je vous avoue que si nous n’avions pas eu Campside Media et Sony Music Entertainment avec nous, le projet ne se serait jamais concrétisé parce que non monétisable. S’il s’intitule The Evapored, c’est parce qu’à chaque épisode, nous racontons avec la jeune comédienne Shoko Plambeck (Woman in the Chair…) l’histoire d’une disparition non résolue au Japon. Nous nous sommes attardés par exemple sur le cas de cette Française, Tiphaine Véron, disparue depuis le 19 juillet 2018, date où elle quitte son hôtel à 10 heures du matin. On ne l’a toujours pas retrouvée. Nous avons eu quelques désaccords avec la famille dans la manière de relater l’affaire mais notre souhait reste le même pour Tiphaine comme pour les autres: attirer d’avantage l’attention et encourager la police à ne pas lâcher l’affaire.

Dans Tokyo Detective, il y a un avant et après Fukushima. Vous racontez comment les yakuzas, dans la foulée de la catastrophe, se rachètent une conduite en volant au secours de la population face à l’impuissance des autorités, comme les narcotrafiquants en Colombie ou au Mexique…

Aujourd’hui, avec les lois anti-criminalité, les yakuzas ont perdu pas mal de leur pouvoir et leur marge de manœuvre s’est considérablement réduite. Mais c’est vrai qu’après la catastrophe, comme ils sont parfaitement organisés, c’était l’occasion de redorer leur blason, de se racheter auprès de la population en montrant que le crime organisé pouvait aussi faire preuve d’empathie.

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