Sur les pas du vétéran Alpha Blondy, l’Ivoirien a empoigné le reggae pour mettre en lumière les maux de son continent. Sa solution? L’unité.

Laurent Hoebrechts

Tiken Jah Fakoly vient d’entrer dans la pièce. Sur le visage du chanteur de reggae africain le plus important du moment, une certaine bonhomie qui change des traits sombres et des sourcils froncés qu’il arbore souvent sur les photos. Comme sur la pochette de son dernier album, L’Africain, où on le voit entouré d’hommes armés. Il sourit. « Ce sont des gens dont l’arme fait partie de l’accoutrement traditionnel. Ils sont membres d’une confrérie de chasseurs qui a refusé de s’occidentaliser.  »

Né à Odienné, au nord-ouest de la Côte d’Ivoire, issu d’une famille de griots, Doumbia Moussa Fakoly – son vrai nom – passera le cap des 40 ans en juin. Le sel qui vient désormais parsemer le poivre de sa barbe lui va bien. A vrai dire, ça le rapproche même encore un peu plus physiquement de son héros de toujours, Bob Marley. « La première fois que je l’ai entendu, même sans le comprendre, je me suis complètement retrouvé dans sa musique, se souvient-il. Par après, chaque fois que je chopais quelqu’un qui savait dire bonjour en anglais, je ne le lâchais plus, et je lui demandais de m’expliquer les chansons. Là, je me suis rendu compte que Marley parlait d’égalité, de paix, d’unité, d’éveil des consciences, dénonçant l’esclavagisme, la colonisation… «  Or, des choses qui ne tournent pas autour de lui, Fakoly en voit plein aussi. Il se lance donc dans le reggae, entendu comme musique de contestation. Avec souvent en ligne de mire l’Occident qui donne d’une main pour mieux contrôler de l’autre. « Aujourd’hui, ceux qui sont en face profitent de nos divisions et font tout pour qu’elles perdurent. « 

dictatures

En juillet 2007, le président français Sarkozy prononçait un discours controversé à Dakar sur  » l’homme africain pas assez entré dans l’histoire« .  » Que Nicolas Sarkozy, après toutes ses études, dit encore des choses pareilles, c’est inquiétant, souligne Tiken. Au moins, il n’a pas été hypocrite comme d’autres. Pour beaucoup d’Occidentaux, l’histoire de l’Afrique commence avec la colonisation. Ils ne savent pas que l’empire mandingue avait déjà sa constitution au 13e siècle, au moment où l’Europe était au Moyen Age.  » Dans son dernier disque, l’Ivoirien incite aussi à ne pas voir uniquement l’Afrique comme un continent à feu et à sang, noyé sous les catastrophes.  » Ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes que rien de positif ne se passe, insiste-t-il. L’Afrique avance en sachant qu’elle doit s’adapter à une civilisation qui lui a été imposée. Nous avons juste besoin de temps. Des dictatures il y en a eu en Europe, jusqu’il y a 20-30 ans, et on ne peut pas dire que la Russie d’aujourd’hui soit un modèle démocratique.  » L’homme n’en oublie pas pour autant les responsabilités de son continent. Il chante par exemple contre l’excision et charge régulièrement les dirigeants corrompus. Jusqu’à recevoir des menaces de mort qui le pousseront à s’exiler au Mali. Récemment, il est rentré en Côte d’Ivoire. A l’image du One Love Peace Concert qui voyait Marley réunir les deux frères ennemis de la politique en Jamaïque, Tiken Jah Fakoly a donné deux concerts: à Abidjan et à Bouaké, dans le fief de l’ex-rébellion. Et apporté ainsi sa pierre à l’unité du pays.

laurent hoebrechts

L’Africain, Universal. En concert le 21/04, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

www.tikenjah.net

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