Sylvie Testud incarne à l’écran une saisissante Françoise Sagan, entre mimétisme parfait et communion d’esprit.

Voilà maintenant une dizaine d’années que Sylvie Testud promène sa singularité sur les écrans de cinéma, passant du Dunkerque de Karnaval à l’entreprise japonaise de Stupeur et tremblements, des transparences de La captive aux horizons fantomatiques de La France. Présence en décalage subtil, souvent, et actrice passionnante, toujours. Ne devrait-on d’ailleurs relever qu’un élément du Sagan de Diane Kurys qu’il s’agirait évidemment de son extraordinaire composition. Incarnant l’écrivain sur une cinquantaine d’années, la comédienne impressionne d’abord par un mimétisme troublant; ensuite, par la vérité se dégageant de chacune de ses attitudes. Sagan-Testud, il y a là, dès lors, comme une évidence, revendiquée d’ailleurs par la cinéaste, au-delà de la seule ressemblance physique:  » Sylvie est très Sagan, en fait. Avec des différences, mais elle lui ressemble, et pas seulement parce qu’elle aime les voitures rapides. Elle a ce côté rebelle, tout en étant un bon petit soldat, travailleuse…  » Restait à évoquer avec la principale intéressée un rôle à fleur de mythe, le temps d’un (long) entretien téléphonique réalisé la veille de son départ pour la Nouvelle-Calédonie, où elle tourne pendant deux mois avec Solveigh Anspach…

Focus: s’agissant de Françoise Sagan et vous, on emploie souvent le terme évidence. Qu’évoquait l’écrivain pour vous?

Sylvie Testud: au départ, je n’étais pas trop dans l’évidence. J’avais une idée assez fausse d’elle, l’ayant découvert quand elle devait avoir déjà 50 ans. On ne fait jamais l’effort d’imaginer les gens quand ils sont jeunes, et moi, je voyais une écrivain assez célèbre, assez respectée, mais plutôt sombre – une idée erronée, en fait. Quand Diane Kurys m’en a parlé, elle avait constitué un petit dossier avec des photos de Françoise Sagan à 18, puis à 20 ans, et là, je me suis dit  » tiens, il y a un petit air« . Et au fur et à mesure de la découverte, je me suis rendu compte qu’en effet, il y avait des points communs.

De quel ordre?

Il y en a beaucoup. Cette envie de vitesse. Et cette envie de vivre sa vie comme elle se présente, sans tellement se décider ni calculer, en étant plus dans le moment présent que dans la construction pure et dure des choses et de l’avenir.

L’avez-vous plutôt appréhendée par ses dispositions d’esprit ou par un travail sur le physique?

C’est plutôt un personnage que j’ai dû attraper de l’extérieur. Si quelqu’un devait interpréter Charlot, sans pouvoir marcher avec une canne et les pieds en canard, ce ne serait même pas la peine d’essayer. Il fallait donc que j’essaye d’avoir un peu cette attitude, cette diction pour ensuite seulement m’attaquer à la psychologie. L’extérieur m’a donné l’intérieur, alors que souvent, acteur, on fait l’inverse: on prend le texte, on se construit une psychologie et on lui donne un extérieur. Là, j’ai dû procéder à l’envers.

Le fait de s’attaquer à un mythe a-t-il exercé un effet inhibant?

Inhibant, non. C’est plutôt une forte pression. On se dit:  » oh la la, pourvu que…  » Surtout que moi, en la découvrant, je commençais à bien l’aimer et à regretter de ne pas l’avoir rencontrée. C’est un personnage exceptionnel, qui est très attachant et apporte beaucoup de choses. Je voulais arriver à restituer ce sentiment que j’avais d’elle, sans pour autant lui ériger une statue, ni le contraire. Mais je devais essayer de restituer un début de vérité, quelque chose qui tienne la route. Un personnage, quand il n’a pas existé, vous le créez. Après, les gens le prennent ou ne le prennent pas. Quand il a existé, c’est plus compliqué.

Qu’est-ce qui vous a le plus séduit chez elle?

J’aime le fait qu’elle ne soit jamais dans la revendication, qu’elle ait obtenu une liberté n’engageant qu’elle, et qui soit de l’ordre de la souplesse. C’est comme si elle avait dit aux gens:  » Tu es intolérant, mais cela reste ton problème, je ne suis ni ta mère ni ton Premier ministre, et je ne te ferai pas changer d’avis par les armes. » A son contact, les gens changeaient plus souplement, mieux qu’à coups de grandes phrases, de grandes idées balancées à tort et à travers. C’est émouvant. (…) Beaucoup de personnages donnent le sentiment qu’on peut souffler, mais Sagan, elle, dégage une grande inspiration, ce qui est complètement différent, ça débloque. Pierre Palmade m’a un jour fait cette réflexion:  » C’est marrant, il y des personnages qu’on admire mais qu’on ne voudrait pas être. Françoise Sagan, ça ne me gênerait pas tellement. » Et il avait raison. Non pas que je rêverais d’être elle, mais ça ne m’aurait pas gênée. Tourner sa vie, c’était plutôt plaisant, un moment ensoleillé.

Elle est toutefois rongée par cette peur de la solitude. C’est quelque chose qui vous interpellait?

Aucun acteur ne peut dire qu’il fait ce métier et qu’il se fout complètement de l’intérêt que les autres lui portent, ce n’est pas possible. Sinon, vous ne faites pas acteur, mais bien berger dans les Pyrénées, et on n’en parle plus. Etre acteur, ou écrivain, c’est quelque part attendre un écho de l’autre côté. Et parler tout près des gens. Il y a une demande de reconnaissance assez forte – pas de reconnaissance bienveillante, mais de prise en compte.

Dans votre esprit, son héritage est-il plus important par ce qu’elle a incarné, sa liberté et son indépendance, ou par son £uvre littéraire?

Les deux. Dans son £uvre littéraire, ce qui est intéressant, c’est ça: son indépendance, sans s’en rendre compte. Bonjour tristesse, c’est un pavé dans l’eau – elle a bouleversé, interpellé à peu près tout le monde -, et elle ne s’en était pas rendu compte. Elle l’a écrit parce que, ayant échoué à son bac, elle a fait la maline en affirmant avoir écrit un livre, et qu’elle a bien dû s’exécuter. Et, finalement, le livre qu’elle écrit est d’une importance cruciale, parce qu’elle va au travers de toutes les règles un peu trop rigides sans s’en rendre compte. L’un est lié à l’autre. Si elle était là aujourd’hui, elle serait encore en avance dans son attitude, sa façon de vivre, dans sa liberté. Elle a vécu avec une femme sans qu’on puisse la catégoriser comme homosexuelle; si elle était tombée éperdument amoureuse d’un homme, cela aurait été un homme. Elle ne sait pas choisir jusque-là. Elle a eu ce qu’elle voulait, comme elle le sentait sur le moment. Elle vivait l’instant, sans se projeter dans ce qui allait se passer dix ans plus tard…

ENTRETIEN: JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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