Les séries belges veulent éviter la sortie de route: « Nous sommes beaucoup a avoir été atterrés par le silence du fédéral »

Dans cette tempête dont on ne connaît pas l'issue, l'objectif de la RTBF est de ne pas arrêter le processus créatif des séries entamé il y a trois ans.
Nicolas Bogaerts Journaliste

Le bel élan pris par les séries en Belgique francophone a été stoppé avec le confinement. Comme tout le monde culturel, la fiction télé oscille entre inquiétude, revendications et initiatives pour tenter de maintenir les projets à flot.

Au moment d’une sortie progressive de la crise sanitaire, l’équation est la suivante pour les séries belges portées par la RTBF: il manque cinq jours de tournage à Invisible, la série fantastique de Marie et Geoffrey Enthoven. La comédie Baraki de Peter Ninane, Julien Vargas et Fred De Loof a dû stopper le sien, entamé en mars. Pandore, le thriller politique de Savina Dellicour, Vania Leturcq et Anne Coesens était lui en pleine pré-production. Enfin Arcanes (Michèle Jacob et Benjamin Dessy), Résonance (Adrien Coster, Céline Schmitz et Anthony Tueni) et Ultra (Jean-Laurent Van Lint) ont été acceptés en phase 2 en mars dernier et continuent à distance leur développement. Quelles sont les chances d’en voir un jour le résultat final sur nos écrans?

Écosystème fragile

Les semaines de hiatus ont laissé des traces, tant le paysage sériel en Belgique francophone demeure un écosystème fragile. Depuis mars, Sylvie Coquart-Morel, responsable éditoriale au département Fiction de la RTBF est sur le qui-vive. Restée en contact avec les équipes des différents projets, elle fait le point régulièrement avec elles et tente de relayer besoins et solutions. « Il y avait trois tournages prévus d’avril à juillet: Pandore, Baraki et Coyote. Au moment où ils pourront reprendre, les comédiens et les équipes techniques vont être sollicités et il faudra faire attention aux embouteillages, éviter les concurrences. » Autre complication, les recommandations sanitaires émises à l’échelle européenne: présence d’un médecin sur le tournage, dépistages, précautions pour le logement, le catering, l’entretien des machines, le maquillage, et les fameuses distances de sécurité. « Autant de mesures illusoires et qui vont coûter environ 5.000 euros par jour de tournage. Reporté sur un budget de série, c’est une catastrophe », s’inquiète Annabella Nezri, productrice chez Kwassa, qui porte Invisible dans son giron.

Dans cette tempête dont on ne connaît pas l'issue, l'objectif de la RTBF est de ne pas arrêter le processus créatif des séries entamé il y a trois ans.
Dans cette tempête dont on ne connaît pas l’issue, l’objectif de la RTBF est de ne pas arrêter le processus créatif des séries entamé il y a trois ans.

Flirter avec le burn out

Les épisodes de Pandore devaient être tournés entre avril et août. Pour la réalisatrice Savina Dellicour, les questions fusent: « Comment s’assurer de ne pas perdre nos lieux de tournage au Palais de Justice, au Sablon, au Parlement? Les autorisations de la Ville et des particuliers? Comment poursuivre les essayages costume, le casting? Se projeter dans l’avenir devient difficile. Les contraintes sanitaires vont être intenables pour des petites structures sans aide d’urgence. Et que faire quand les contacts physiques sont essentiels à l’histoire? » Pour Invisible, Annabella Nezri espère tenir le délai de livraison initial, en septembre, malgré cinq jours de tournage à prévoir: « Le montage, les effets spéciaux, la musique, tout se passe à distance. C’est une dynamique de travail différente, peu pratique, moins efficace. » « Créer une série belge un peu ambitieuse, c’est déjà flirter avec le burn out, plaisante à moitié Savina Dellicour. Tout ceci vient aggraver des problèmes structurels. L’hypothèse d’un tournage devient un vrai casse-tête. » Ives Swennen, son producteur, voit plus loin encore: « Il faudra être attentif aux décisions prises par les sociétés qui vont potentiellement financer les projets futurs via le tax shelter. Au moment des bilans, quel sera l’impact de cette année amputée de plusieurs mois d’activité sur les investissements futurs? »

Le silence du Fédéral

Annabella Nezri dépense son énergie à trouver des solutions: « Une société de production gagne sa vie sur les tournages. Elle fait vivre un secteur de techniciens, de scénaristes, de comédiens. Dans ce contexte, nous sommes beaucoup a avoir été atterrés par le silence du fédéral. Le tax shelter, qui relève de sa compétence, représente 30% des budgets. Il faut d’urgence qu’il débloque un fonds de garantie pour encourager les assurances à prendre en compte la pandémie. » Au régional, une enveloppe de 8 millions vient d’être délivrée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et des plans sont en chantier du côté de screen.brussels pour amortir l’impact de la crise. Par ailleurs, les professions s’organisent via leurs représentants (SACD, Union des artistes, associations des scénaristes et des réalisateurs, UPFF…). Elles ont obtenu du tax shelter le rehaussement du plafond d’investissement pour les plus gros investisseurs. Et la période de réalisation des dépenses prévues par les conventions a été allongée. Le gros point, pour beaucoup de professionnels, est le prolongement des droits liés au statut d’artiste, un an au-delà de la période où les activités auront été mises entre parenthèses. Toutes ces revendications se retrouvent, avec d’autres, dans la campagne commune No Culture No Future.

No Future?

« Personne n’a pris la mesure de cette épidémie », déplore Joachim Philippe, chef opérateur sur Pandore. « Beaucoup de choses vont changer et tous les secteurs vont être touchés. C’est pour les plus jeunes et ceux qui dépendent du statut d’artiste que ça va se compliquer. Depuis quelque temps, des distinctions et des modalités d’accès au statut avaient été instaurées qui relèvent de la dissuasion. Ça va continuer à accentuer la précarisation des personnes, car elles n’ont aucune rentrée. » Un sentiment se dégage de toutes les discussions, résumé par Savina Dellicour: « Il n’est pas sûr que notre situation soit considérée comme essentielle par les décideurs. »

Dans cette tempête dont nul ne peut juger de l’issue, l’objectif de la RTBF est de ne pas arrêter le processus créatif entamé il y a trois ans, et de faire en sorte que les auteurs ne soient pas fragilisés: « Tous les conseillers éditoriaux sont en contact avec les équipes et les parties prenantes des projets. Il est important, dans ce contexte, que la RTBF génère de la confiance, demeure attentive aux besoins des équipes. C’est une question de responsabilité. »

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