Halston, Le Serpent… La mode dans les séries, bien plus qu’un catalogue de tenues

Nicolas Bogaerts Journaliste

Dernière création de Ryan Murphy, Halston souligne combien le style investit les séries en mode esthétique et thématique et dépasse le simple catalogue de tenues et d’accessoires. Décryptage.

Avec Halston (sur Netflix), Ryan Murphy ne donne pas une image très reluisante du créateur de mode Roy Halston Frowick incarné par Ewan McGregor. Égocentré, obnubilé par les excès y compris dans sa gestion très orientée business. Hormis des costumes, somptueux, et des personnages hauts en couleur, parmi lesquels il faut noter la performance de Rebecca Dayan et Krysta Rodriguez dans les rôles des égéries de Halston, Elsa Peretti et Liza Minnelli, la série n’a pas été aussi captivante qu’escompté. En revanche, elle reconstitue avec succès un moment historique de l’Histoire de la mode, la célèbre « Bataille de Versailles » organisée par Gérald van der Kemp, conservateur en chef du Musée national de Versailles. Le 28 novembre 1973, l’Opéra Royal du Château réunit ce que la création a de plus illustre de part et d’autre de l’Atlantique. Cinq créateurs américains (Halston, Oscar de la Renta, Anne Klein, Stephen Burrows et Bill Blass) se mesurent à cinq Français (Marc Bohan, Yves Saint Laurent, Emanuel Ungaro, Pierre Cardin et Hubert de Givenchy).

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Dans son dernier livre, Paris to New York: The Transatlantic Fashion Industry in the Twentieth Century (1), l’historienne belge Véronique Pouillard montre combien cette soirée, reconnue pour avoir changé le statut de la mode aux États-Unis, est une des étapes d’un bouleversement qui démarre dans la première moitié du XXe siècle, quand les contacts entre Paris et l’Amérique donnent à la mode son statut de phénomène culturel et économique global. La série Halston dans son ensemble, au-delà de son portrait chamarré, donne à voir en filigrane les dilemmes intérieurs nés des dynamiques relationnelles entre les deux continents, qui ont forgé un univers au carrefour de la création, du business et de la culture de masse, comme pour mieux illustrer son « dialogue permanent entre art et commerce, créativité et impératifs du marché ».

Des espadrilles et costumes pastel (Miami Vice) aux Air Jordan 1 (Lupin) en passant par les Louboutin (Sex and the City), les cravates fines et les complets cintrés (Mad Men), les séries sont depuis longtemps des prescriptrices de tendances et leur influence sur les garde-robes est un fait avéré. À l’écran, la mode reflète la superficialité d’un sujet ou accentue son effet carte postale (Emily in Paris) mais elle peut aussi, à travers les costumes, devenir part intégrante du récit et se replacer dans le sens de l’Histoire.

Sex and the City
Sex and the City© WireImage

Construction d’une identité

Les séries ne sont pas que des vitrines de la mode et tout n’y est pas que placement de produits. Car il suffit de porter un regard sur les vêtements des héros de We Are Who We Are, Betty (dont la saison 2 se glissera dans les grilles de rentrée) ou encore Girls pour y voir ce qui caractérise une esthétique au plus près du réel de ses sujets, quand ils défient en permanence les conventions, se les réapproprient, les détournent. Il ne s’agit pas ici de manifestes esthétiques, plutôt d’une reconnaissance de la place que tient inexorablement le vêtement (ou le costume) dans la construction d’une identité, aussi polymorphe soit-elle.

La série Miami Vice de Michael Mann a bel et bien fixé les standards visuels de ce qui allait construire notre souvenir collectif des années 80. Dans Sex and the City, la fascination de Carrie pour les grandes marques racontait le fil ténu que tendait la série entre émancipation et asservissement aux convenances. Or, la manière de s’habiller est davantage devenue, durant la dernière décennie, un élément constitutif complexe du personnage et de sa psyché, de sa place dans le récit. L’exemple le plus saillant est celui de Beth dans Le Jeu de la Dame, dont les vêtements, et sa manière de les porter ou non, expriment tour à tour la maîtrise, la confusion ou l’autodestruction guidant ses actions.

Les démons de la création

Le fil rouge de The Assassination of Gianni Versace, saison 2 de la série anthologique American Crime Story, alerte sur les ravages de l’homophobie. Mais on peut y lire combien, dans le cas du meurtrier Andrew Cunanan, la fascination pour la mode et son représentant iconique, Gianni Versace, est la manifestation d’un brouillage pathologique des limites entre fiction et réalité. C’est précisément la noblesse du coming out de Versace en 1995, à contre-courant des convenances de l’époque, qui résonne avec la fureur destructrice de son assassin.

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La création peut ainsi habiller ses démons pour mieux les cacher. Dans Le Serpent, série BBC/Netflix qui détaillait l’entreprise meurtrière du serial killer Charles Sobhraj (Tahar Rahim) dans l’Asie du Sud-Est des années 70-80, les tenues choisies par la costumière Rachel Walsh ne se limitaient pas à reproduire une esthétique jet set et bohème. Il s’agissait également de fournir au couple une série de tenues qui puissent abriter leurs fausses identités. Des costumes ou déguisements pour détourner les regards de leur nature profondément déglinguée. L’effet de loupe induit sur les productions de l’époque, siglées Karl Lagerfeld, Van Cleef & Harpels ou Yves Saint Laurent, entrait aussi en résonance avec le énième retour aux années 70 constaté un peu partout dans l’univers du style. Mais si les costumes flamboyants du Serpent et de sa clique ont été conçus comme des masques derrière lesquels les meurtriers dissimulaient leurs réelles intentions et identités, ils l’ont été également, de manière pratique, pour les nombreuses inconsistances du scénario, facilitant le succès public de la série Netflix.

(1) Véronique Pouillard, Paris to New York: The Transatlantic Fashion Industry in the Twentieth Century, Harvard, 2021.

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