David Makes Man, une série immersive dans le coeur et la psyché d’un ado noir américain

Portrait onirique d'un jeune Afro-Américain pris entre ses racines et son futur.
Nicolas Bogaerts Journaliste

Mélange de poésie et de réalisme, David Makes Man est une plongée hypersensible dans la psyché d’un garçon qui explore les polarités de son identité afro-américaine. Une splendide réussite.

Si l’adolescence et les déterminismes sociaux sont des thèmes généralement bien arpentés dans les séries, il est en revanche plus rare de les voir abordés ensemble et, qui plus est, sous l’angle de l’empathie radicale. En parvenant à montrer les effets de la pauvreté, du danger, de l’éducation et des loyautés imposées sur la construction identitaire conflictuelle d’un jeune Afro-Américain, David Makes Man, produit par Oprah Winfrey et Michael B. Jordan, créé par le dramaturge Tarell Alvin McCraney (Moonlight), arpente un territoire narratif et visuel extrêmement original.

David, quatorze ans, doit grandir trop vite dans une cité pauvre de Floride. Il s’occupe de son jeune frère de neuf ans, JG, que la précocité des mauvaises fréquentations n’empêche pas de mouiller son lit une fois sur deux. Leur mère Gloria travaille de nuit, tente de se tenir à l’écart de l’alcool et des substances. Hors de leur studio grouillent les petites frappes d’un gang. David les croise tous les jours alors qu’il prend le bus vers son école préparatoire majoritairement blanche, où un fifrelin de discrimination positive tente de faire entrer quelques élus dans un cercle pédagogique vertueux. David y déploie son intelligence sociale hors norme, irriguée d’un ressentiment incontrôlable à l’égard de cette bourgeoisie dont il ne fait pas partie: la plupart du temps, il arrive en classe le ventre creux. Pour autant, il décèle très vite les traumas dont souffrent aussi les gamins de la classe dominante. D’un ghetto à l’autre, les dangers se télescopent.

Tarell Alvin McCraney entoure son jeune anti-héros de personnages qui jouent avec les conventions du genre, explorant un filon ouvert par The Wire, Atlanta ou Snowfall. Sky, ténébreux mentor, est la statue du commandeur, fantôme revenu tancer de poésie les décisions de David. Cette relation aux contours flous dans les premiers épisodes, mais bel et bien au centre de l’histoire, le lie à Raynan, le fils de Sky et dealer en chef du coin. À l’école, son meilleur ami est Seren, un jeune métis issu de la bourgeoisie, au beau-père abusif. David peut compter sur d’autres figures tutélaires, sa prof, Mme Woods (Phylicia Rashad, vue dans The Cosby Show) et la directrice Fallow, pour tenter de le maintenir sur le droit chemin.

Oscillant entre calme et tempête, David tente de naviguer entre ses deux environnements antagoniques et de maintenir une saine distance entre eux. Le premier épisode tourne autour de son altercation, en plein cours, avec Seren, dont l’exposé brillant sur ses origines ancestrales renvoie David à son manque cruel de racines. Le deuxième suit son errance d’un bout à l’autre de la ville, forcé par Raynan à jouer les mules pour rallier le bercail, en bus et à pied, avec un sac à dos rempli de daube. Dans un cas comme dans l’autre, David dialogue avec des sentiments ambivalents envers ses propres déterminismes. Chaque étape de son chemin contribue à former le portrait onirique d’un jeune homme pris entre la loyauté à son terreau paupérisé, codifié, et son engagement dans un programme scolaire confrontant mais prometteur. Honorer l’une, c’est trahir l’autre et réciproquement.

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Sans pathos

Les conflits intérieurs, affectifs, éthiques, identitaires sont filmés avec une empathie et une poésie peu communes, comme pour mieux souligner en creux la manière superficielle avec laquelle sont montrés les jeunes Afro-Américains dans le tout-venant des fictions. C’est par une phrase simple mais lourde de sens que Sky invite David à participer à ce changement de regard que la société et nous, spectateurs, portons sur lui (et, partant, sur les Black kids en général): « Montre-leur que tu fais partie des gens bien, montre-leur que tu es exceptionnel ». Projeté trop tôt dans le monde des adultes, hypersensible, David est régulièrement secoué par des tensions internes qui le font réagir au quart de tour lors de situations critiques et prendre des décisions qui ont tout d’une fulgurante bifurcation.

Pourtant, la réalisation joue l’apaisement, atténuant la tension propre au rythme sériel par un style impressionniste, voire volontiers surréaliste, plus familier au cinéma. Cela mène David Makes Man à embrasser une sacrée envergure visuelle, qui donne de l’ampleur à ses ambitions scénaristiques plus modestes. Les plans rapprochés, qui font usage de flous, nous invitent à sentir les tensions difficilement contrôlables de David. Dans une scène où, après leur bagarre, Seren et David ruminent leur colère et leur tristesse en silence, un dialogue interne se superpose, écrit au crayon, fait de ratures, des lettres capitales et d’exclamations. Bien plus que des gadgets, ces trouvailles expriment sans pathos l’impossibilité pour des garçons élevés à la dure de se dire avec émotion. Profondeur de champ, jeux de focales et de cadres surréalistes composent une image qui ne se contente pas d’esthétiser l’environnement et la psyché interne de David. Elle leur donne une chambre d’écho, un relief, une intensité à la fois poétique et sociale.

Tarell Alvin McCraney confirme ici ses grandes qualités de conteur de l’adolescence afro-américaine, après un Moonlight primé aux Golden Globes en 2016. David Makes Man est avant tout une proposition éminemment personnelle sur la relation entre trauma et survie, l’auto-dépréciation et la rédemption des grands blessés du conditionnement social. Sa dimension onirique en fait une fiction cathartique majeure, pleine de lyrisme, de grâce et d’empathie.

Une série créée par Tarell Alvin McCraney. Avec Akili McDowell, Alana Arenas, Isaiah Johnson. Dès le 07/07 sur Be Séries. ****

David Makes Man, une série immersive dans le coeur et la psyché d'un ado noir américain

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