EN 2009-2010, DES MUSICIENS DES RUES DE KINSHASA, CERTAINS D’ENTRE EUX INVALIDES, SÉDUISENT LA PLANÈTE. ALORS QUE SORT L’EXCELLENT ET GROOVY SECOND ALBUM DU MÊME STAFF BENDA BILILI, IL POURRAIT BIEN Y AVOIR UNE VIE APRÈS LE BUZZ.

Ce 29 août, les huit musiciens débarqués à l’aube à Zaventem sont crevés, mais avant de partir le lendemain pour 30 concerts en Europe et en Amérique du Nord, ils s’obligent à répéter à l’Excelsior, salle paroissiale de Jette, quartier moyennement glamour au nord de Bruxelles. L’espace a d’ailleurs une gueule de Kin non tropical: un sofa fatigué traîne devant la scène nue et le sol en balatum accueille des chaises qui font probablement mal au postérieur. Les bières fraîches se chargent de dissiper les fatigues. Si la bande à Ricky Likabu -l’aîné et leader du groupe- plante pour une seule après-midi ses instruments bidouillés dans cette bonne franquette belge, c’est qu’elle a un impérieux besoin de répéter. Michel Winter, manager-chauffeur-nounou-planificateur:  » Nous n’avons pas reçu de visa pour le batteur et le guitariste qui sont donc restés à Kinshasa, extrêmement déçus, le répertoire conçu à dix musiciens est donc raccourci à huit, fallait mieux mettre les choses en place. » Sourire entendu de celui qui n’en est plus à une absurdité près, que ce soit pour le Staff ou son autre combo congolais, Konono n°1:  » On avait pourtant tissé des liens personnels avec certaines ambassades, comme celle de France à Kinshasa, mais désormais, tout passe par la « Maison Schengen », système beaucoup plus opaque. »

Lourdes à l’envers

Marc Hollander, boss de Crammed Discs, label bruxellois qui a signé le Staff pour trois albums, parle du second disque  » plus fort » qu’il fallait faire. De fait, Bouger le monde ( lire la critique page 34) , qui arrive après les 150 000 exemplaires de Très très fort, laboure des terres tricotées par des guitares allumeuses sur des rythmiques agitées, le santonge -sorte de guimbarde à main revue par Hendrix- se chargeant de retranscrire toute la « Kin vibe ». Alors comment faire suivre un premier CD à succès, épaulé d’un documentaire racontant la saga -présenté à Cannes en mai 2010- sans risquer de se casser la gueule? Hollander:  » On n’a pas briefé le groupe sur le répertoire mais on a essayé de flatter le son, de lui donner l’intensité des concerts qui ont fait énormément progresser les Staff comme instrumentistes. On sait bien qu’une histoire forte, ici il s’agit même d’une parabole édifiante de valides venant voir les non-valides -Lourdes à l’envers (sic) -, les médias ne vont pas la raconter deux fois. » Alors, il reste d’abord la musique et encore elle. Vincent Kenis, producteur du premier tome des aventures kinoises du Staff -comme celles de Konono et des Roumains du Taraf de Haïdouks-, a vécu le périple depuis les débuts.

Depuis Kinshasa où il travaille sur un autre projet, Kenis nous écrit ses impressions:  » Staff Benda Bilili avait triomphé en Europe et au Japon, ils s’étaient adjoints Montana, un nouveau batteur qui leur donnait une tonalité plus massive, plus rock, ils avaient ensuite tourné intensivement pendant deux ans dans le monde entier, développant un « son de groupe » cohérent et unique sans l’aide aucune d’un prétendu directeur artistique… Autre nouveauté marquante, la scène a poussé certains membres à s’enhardir et révéler des talents vocaux insoupçonnés. Troisième nouveauté, inédite sur scène, celle-là: l’adjonction de deux nouveaux membres, ou plutôt le retour d’un ancien -Randy, percussionniste, rescapé d’un séjour de trois ans au Congo-Brazza, excellent complément rythmique à Montana- et l’arrivée d’Amalphi, guitariste soliste fin et inventif, véritable encyclopédie de la guitare congolaise. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que ce deuxième album soit non pas une redite du premier mais au contraire l’affirmation d’une fierté nouvelle. » Bouger le monde est enregistré en quelques jours, début 2012, aux Studios Renapec de Kinshasa, ouvert par les Pères Blancs dans les années 50. La suite, c’est Kenis qui passe des semaines à mixer les pistes dans sa mansarde ixelloise, rajoutant parfois un parfum d’instrument perso. Le résultat? Phil Spector chez Kabila, la croupe mouillée de désir funky.

La conversation avec le Staff se passe avec les huit musiciens autour de la table: difficile d’oublier que cinq d’entre eux sont frappés de poliomyélite, maladie infectieuse qui paralyse le corps avec plus ou moins de dureté.  » Aujourd’hui, au Congo, l’Organisation Mondiale de la Santé et le Rotary distribuent des vaccins », explique Ricky, le plus bavard du lot avec Roger Landu, jeune virtuose du santonge. La démarche du Staff est autant musicale que sociale, même si, dixit Ricky,  » nous sommes apolitiques ». Déclaration qui, au Congo, peut éviter quelques ennuis. Alors oui, ils sont fiers d’avoir vu et conquis le monde, d’avoir joué au Japon, mais globalement, ils savent que rien n’est jamais gagné. Histoire de soigner un futur financier, ils ont acheté à Kin un terrain de 30 hectares qu’ils aimeraient transformer en ateliers divers: couture, ajustage, mécanique et bien sûr musique,  » un moyen de répondre à toutes les demandes financières (…) et aussi d’aider les enfants des rues, là où nous avons longtemps été ». Aujourd’hui, les musiciens du Staff ont une maison, une bagnole, une dignité dans un Congo qui ne connaît guère la compassion. « Nous sommes des messagers, des journalistes, nous ne chantons pas les fesses des filles et c’est pour cela que chez nous, on ne nous reconnaît pas (rires). Ce qui est sûr, precise Ricky, c’est que je n’ai pas encore vu d’autres handicapés qui cartonnent comme nous et font bouger le monde… »

CD BOUGER LE MONDE CHEZ CRAMMED DISCS, EN CONCERT LE 16/09 À MIDDELKERKE ET LE 02/10 AU KVS À BRUXELLES.

TEXTE PHILIPPE CORNET

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