Critique | BD

« Astra Nova »: seule dans l’espace

4,5 / 5
© National

Lisa Blumen, L’Employé·e du Moi

Astra Nova

174 pages

4,5 / 5
© National
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Dans le formidable Astra Nova, une astronaute s’apprête à passer le reste de sa vie seule dans l’espace, après une dernière soirée avec trois amis aussi esseulés qu’elle.

La jeune Nova reste impassible derrière ses grandes lunettes, mais l’émotion doit être intense: elle qui était volontaire pour un voyage exploratoire vers la planète L-31, et qui s’y prépare intensément depuis six ans, reçoit au début d’Astra Nova enfin confirmation de son agence spatiale: “La planète L31 étant à 2,5 millions d’années-lumière, votre vaisseau mettra entre 20 et 50 ans pour l’atteindre. Tout retour sur Terre est, comme vous le savez, physiquement et matériellement impossible.” Reste, avant le très grand départ, à remplir une dernière formalité qui, cette fois, lui fait crisper les mains sur ses genoux et lui fait monter une perle de sueur: l’agence est contrainte de lui “organiser une fête dite d’adieu”. “Il s’agirait de voir vos proches une dernière fois. Pour quitter la Terre en connaissance de cause.” Et sa demande d’exemption n’y fera rien: Nova va donc revoir et renouer, le temps d’une soirée, avec Ulysse, Alan et Yseult, trois camarades d’école qui s’avèrent non seulement ses seuls amis (qu’elle n’a pas revus depuis quinze ans), mais qui ne semblent pas beaucoup moins solitaires qu’elle, entre une mère de famille nombreuse seule face à sa charge mentale, un historien coincé au chevet de son père et un ex-boyfriend devenu drag queen pour mettre un peu de paillettes sur son effroyable isolement. Quatre solitudes parfois extrêmes qui, au fil des apartés, des souvenirs et des aveux, seront durement mises à l’épreuve et qui, peut-être, s’achèveront… sur un air de Dalida.

SF dévoyée

L’atmosphérique Lisa Blumen, tout en pastels délicats et feutres vaporeux, confirme dans Astra Nova tout le bien qu’on pouvait déjà penser d’elle depuis Avant l’oubli, son premier roman graphique paru il y a deux ans à l’Employé du Moi -devenu L’Employé·e à l’occasion de ce nouvel ouvrage-, qui était déjà un récit de science-fiction hors norme branché sur l’intimité des personnages et la possible connexion de leurs individualités. Un album inclusif d’une autrice strasbourgeoise décidément à suivre, tant pour son sens aigu de la narration que pour son trait faussement transparent, et qui confirme l’appétence de la maison d’édition bruxelloise pour les récits de SF dévoyés (elle n’est ici que prétexte et virgules dans le récit) et les nouvelles plumes féminines renouvelant complètement les codes et les sentiments explorés, à l’image du fantastique Eksploracja de Julie Michelin. Lisa Blumen offre ici un récit profond, intime et si bien mené qu’on ne pouffe même pas quand résonne soudain les mots de Dalida et de son parolier Daniel Faure: “Pour ne pas vivre seul/Je t’aime et je t’attends/Pour avoir l’illusion/De ne pas vivre seul”.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content