L’auteur de Mobutu, roi du Zaïre met la dernière main au montage de son prochain documentaire, Katanga Mining Business. L’occasion d’évoquer une trajectoire qui l’a conduit du Pays Noir au Congo, en passant par le Brésil ou l’Iran. Le dernier volet de notre série consacrée à des artistes belges d’exception.

Entretien: Jean-François Pluijgers

Entretien Jean-François Pluijgers

Paris, porte de Montreuil. C’est ici, dans les bureaux de la société Les Films d’Ici que Thierry Michel s’attèle au montage de Katanga Mining Business, son prochain documentaire, attendu courant 2009. La tâche est immense: le cinéaste a accumulé 140 heures d’images au gré des cinq séjours qu’il a effectués au Katanga pour les besoins du film. A quoi s’ajoutent d’innombrables archives, toutes époques confondues, qui nourriront son – vaste – propos. Le temps de visionner quelques extraits, et on l’arrache un temps à son travail; direction une brasserie voisine, pour évoquer longuement un film qui s’annonce, en quelque sorte, comme la synthèse des aspirations et préoccupations du réalisateur.

Focus: comment a germé ce projet?

Thierry Michel: cela remonte à mon premier contact au Congo, en 1991, lorsque j’ai tourné Le Cycle du serpent. A l’époque, j’avais fait des repérages à Kinshasa et au Katanga, où j’avais été extrêmement impressionné par la Gécamines, alors encore en activité, et par tout cet ensemble industriel. Le film s’est finalement concentré sur la nomenklatura mobutiste et Kinshasa, mais le Katanga est toujours resté présent en moi pour une raison très simple: j’ai eu une enfance industrielle au Pays Noir – mon premier film s’appelait d’ailleurs Pays Noir, pays rouge –, et cette culture m’a imprégné profondément. Au Katanga, je retrouve l’univers minier et industriel. Le projet s’est précisé à l’époque de Congo River, où j’ai retraversé la région et beaucoup filmé l’industrie . Et pour lequel j’ai revu quantité d’archives, dont celles sur la Gécamines, l’ancienne Union Minière du Haut-Katanga.

On retrouve dans ces images le même sentiment d’impuissance que dans certains passages de Congo River…

Absolument. Mais une donnée fondamentale de mon film sur le Katanga, c’est qu’on est sur les ruines de l’Afrique, les ruines du Congo, celles de l’industrialisation et de la colonisation, mais qu’on est aussi dans un monde en train de se reconstruire, à vitesse rapide, emporté par les vents de la mondialisation. Tout d’un coup, je sors de l’Afrique moribonde pour avoir une Afrique qui, en ce début de XXIe siècle, se réapproprie les défis de la modernité.

Un colonialisme ne se substitue-t-il pas à un autre?

On est dans une seconde révolution industrielle, avec tout ce que cela comporte de violence. D’une économie qui était retournée à un artisanat primaire, on repasse aujourd’hui à une dynamique industrielle, avec les technologies les plus modernes. Des villages où les gens n’ont aucune formation sont tout à coup « colonisés » par une société multinationale qui vient y implanter mines, carrières et usines de dernières technologies, et employer une main-d’£uvre locale qui fait un bond de plusieurs siècles de technologie. Alors, nouvelle forme de colonisation, d’une certaine manière. Mais, en même temps, redynamisation d’un monde qui était engoncé dans la pauvreté, la misère et les luttes claniques. C’est peut-être une chance historique à saisir, d’autant que le pouvoir politique est relativement bien dans les mains des Congolais, même si le pouvoir économique y échappera. A travers le Katanga, je veux réaliser une métaphore de l’Afrique aujourd’hui face aux défis de la mondialisation, de la modernité, de l’industrialisation, des enjeux économiques et sociaux.

Qu’est-ce qui vous amène à explorer, encore et toujours, le terrain africain?

L’Afrique est devenue une passion. Même si je vais vers d’autres horizons, je me suis très fort attaché au Congo, les liens affectifs sont importants. Et j’ai senti l’opportunité d’un film qui sorte de l’afro-pessimisme, puisqu’on assiste aux convulsions d’une renaissance, à un accouchement douloureux, mais un accouchement quand même. J’avais envie de me rebrasser là-dedans, c’est la convergence de deux choses: mon parcours africain et congolais, et le retour à ce que j’ai fait il y a 25 ans dans les luttes sociales et le monde industriel.

Quelle doit être la position du documentariste à l’égard du monde et de son sujet?

D’être toujours un peu candide. De se mettre en position  » je ne sais pas, mais je veux savoir« . Je veux être une éponge, m’imbiber, observer, interpeller, mettre sous le boisseau les préjugés ou stéréotypes, les images attendues, pour essayer de comprendre la complexité du monde, ce qui se passe sous les apparences. Le documentaire le permet, parce qu’il nous donne du temps de travail, Il nous permet de rechercher la dignité de l’homme, d’être porteurs de la voix de ceux qui sont en révolte ou opprimés, mais aussi de comprendre les mécanismes de ceux qui ont le pouvoir économique ou politique.

La démocratisation de la technologie fait de tout le monde un documentariste en puissance. Des règles éthiques doivent-elles prévaloir?

Les règles, cela me fait peur; c’est mon vieux fond anarchiste. Mais une éthique, bien sûr. On l’a, ou on ne l’a pas, c’est une attitude morale, personnelle, une manière d’être au monde. Et le regard, c’est la même chose, même s’il se construit aussi en faisant. Et puis, il y a la réflexion, indispensable: on ne peut capter sans réfléchir le monde, dans tous les sens du terme. Si on le réfléchit optiquement, il faut le réfléchir intellectuellement, et dans sa conscience. Cadrer le réel est déjà une éthique, puisque c’est exclure. Mais au montage, la réflexion est extrêmement importante. Pour moi, l’alchimie du cinéma réussit quand il y a cette réflexion, et l’intuition.

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